Histoires de famille.

Retour à l'envoyeur. Varen ne passait pas des masses de temps au domaine Shei'Arcath, mais c'était la deuxième fois en quelques mois qu'il s'y rendait ; ce séjour cependant n'était pas une convalescence, il était là pour affaire, cela changeait un peu d'arriver dans une forme relative et de pouvoir directement se promener à sa guise dans le domaine sans devoir tempêter contre son médecin au préalable. Cependant... Le chef de famille ne rentrait que le lendemain, il faudrait attendre pour lui exposer les troublantes nouveautés en provenance de Sant Poséïnos... Alors, il fallait bien s'occuper.

Il avait été fureter mine de rien du côté de chez Déolin, seulement pour apprendre que la petite Miobë était à Errande pour l'anniversaire de la dame Shadow. Déception de ne pouvoir prendre de ses nouvelles, ni de pouvoir constater de visu qu'elle se portait toujours bien. Depuis leur petite conversation, il ne pouvait s'empêcher d'être préoccupé. Enfin... Rien ne servait de ruminer. Il allait plutôt aller se poser quelque part où il pourrait entendre les nouvelles, ou converser avec l'un ou l'autre des membres de la famille.

Se dandinant comme le petit vieux qu'il était, Varen se dirigea vers le petit salon en grommelant dans sa moustache contre les couloirs interminables, qui ne l'étaient pas tant que ça quand on n'était pas obèse. Enfin, il passa la porte, ronchonnant qu'il aurait dû venir là directement, puisque c'était presque à côté de ses quartiers, contrairement à ceux de son neveu qui étaient à l'autre bout de la maison. Droit devant, un fauteuil, il était sauvé. Il se laissa tomber dedans avec un grognement d'aise, et tenta de reprendre un peu de la superbe que devait avoir le Politicien et le Grand-Oncle. Quand il ne devait pas bouger et qu'il pouvait se contenter de trôner, Varen avait du charisme à en revendre, mais il ne fallait vraiment pas lui demander de courir un cent mètres. Retirant son chapeau et s'épongeant le front avec son mouchoir, le bonhomme fit signe à une domestique.

"Fermez cette tenture, la lumière me donne mal de tête."

Il était bourru, mais c'était une femme ; piètre excuse, sauf lorsque l'on est un Shei'Arcath. Enfin, il s'installa à son aise, et alluma son éternelle pipe, enfumant tout le salon avec ses herbes médicinales. Heureusement, il y avait peu de gens susceptibles de l'embêter avec ça, on ne corrige pas le comportement des ancêtres, c'est ainsi. Il alluma la lampe à eralium sur la table à côté de lui, et croisa les mains sur son ventre proéminent. Il avait transformé en deux minutes le salon, en y créant l'atmosphère qui le suivait partout, fumée et absence de lumière solaire.

Fermant les yeux, il attendait que quelqu'un de plus intéressant qu'un domestique passe par là. C'était perdre son temps, me direz-vous... Mais non. Il avait du travail, certes, mais le travail se faisait vite pour lui qui avait l'esprit bien plus vif que le corps. Il était autrement important de savoir ce qu'il se passait chez lui, et avec un peu de chances, il apprendrait des choses en écoutant.

Un quart d'heure plus tard, malgré toute sa roublardise, Varen ronflait comme un bienheureux. Cependant, un petit bruit lui fit entrouvrir un oeil. Il se redressa, un peu vaseux, sans savoir combien de temps il avait dormi. Y avait-il enfin de la vie dans le secteur ?

Varen était, tout d'un coup, bien réveillé, malgré sa courte sieste improvisée. Pas vraiment à cause du pot de fleurs brisé, puisqu'il n'avait plus depuis longtemps aucune empathie envers les végétaux, de par sa maladie. Non... C'était la gamine de Mahasael... Elle tombait à la fois très bien et très mal cette petite. En effet, la lettre qui avait attendu Varen à son arrivée, celle qui expliquait que Roval et son fils étaient partis pour affaire jusqu'au lendemain, lui exprimait également toute la lâcheté de son frère. Le chef de famille avait de fait conclu un accord avec une autre famille en la personne de cette enfant... Et personne n'avait apparemment envie de l'annoncer ni à elle, ni à sa mère.

Le vieux bonhomme soupira. C'était toujours pour lui de traîter avec les femmes, sous prétexte qu'il avait la patience et la subtilité nécessaire, tout politicien qu'il était. Il était bien tenté d'attendre que Roval rentre pour lui exprimer le ras-le-bol qu'il avait de s'occuper de ses sales affaires et l'obliger à expliquer lui-même à sa petite fille qu'il la vendait pour conclure une alliance. Mais s'il le faisait... Les choses empireraient, et il n'aurait pas cette excellente excuse pour discuter avec sa petite nièce, ni pour lui donner ce qu'il avait rapporté pour elle de Sant Poseïnos, puisque dés qu'Eshisil aurait vent de sa présence, les deux petits seraient gardés loin de lui. La peste soit de cette Ondeluire. Et ce serait bien malheureux : les cadeaux de Tonton Varen quand il revenait en visite étaient l'une des traditions des Shei'Arcath, depuis déjà deux générations.

"Ah... Saelia. Approchez, jeune fille.", gronda-t-il de sa voix profonde et un rien bourrue.

Il se redressa et remit droit son fidèle chapeau, qui avait glissé sur son oreille durant son sommeil, dévoilant une très seyante calvitie. Il se racla la gorge. Ce n'était peut-être pas la bonne approche, il fallait tenter autre chose.

"Ne t'inquiète pas pour cette plante, mon enfant. Elle n'a que ce qu'elle mérite, elle n'avait pas à se trouver dans ton chemin." Il sourit, tentant de se montrer rassurant. Qu'il était difficile de trouver la bonne attitude, en sachant ce qu'il allait devoir dire ! "Ah, et agite la clochette, là, il faut bien sonner quelqu'un pour ramasser ce bazar. Enfin, si l'on te demande, tu diras que je l'ai accroché avec ma canne, n'est-ce pas ? Ce sera notre petit secret." Il serra le pommeau de la canne en question, ses yeux pétillant de malice ; le Varen a cela de bien qu'il est bon acteur, il ne laissait aucunement transparaître l'embarras qui l'habitait.

"Mais que fais-tu donc ici, avec ce grand soleil dehors, hmmm...?"

Son sourire se fit plus fin, à mesure qu'il observait la fillette. A voir sa figure, il ne pouvait que soupçonner une bêtise... Après tout, quoi d'autre pouvait l'amener dans une pièce sombre et enfumée, ou par dessus le marché dormait un oncle que sa mère ne l'autorisait pas à fréquenter ?

Au passage d'une domestique qui venait ramasser les débris du pot de fleur cassé par sa petite nièce, Varen lui fit signe d'approcher. Il n'avait pas envie de retourner lui-même jusqu'à sa chambre, c'était l'occasion de se faire servir plutôt que de dandiner son corps imposant et maladroit dans ces bien trop longs couloirs.

« Allez me chercher la petite cage dans mes appartements, sur la table à droite de l'entrée, voulez-vous ? », lui glissa-t-il l'air de rien.

Les servantes parties, il reporta toute son attention sur la fillette, qui ne semblait pas très à son aise devant lui, malgré qu'il ne l'ait pas grondée. Qu'importe, cela changerait probablement... Pour tourner bien vite à la catastrophe.

Elle disait avoir cherché une boussole, mais Varen ne s'y laissa pas prendre ; elle changea bien trop vite de sujet pour être crédible... Il tira une bouffée de sa pipe, et continua d'écouter. Chaque mot lui en apprenait plus sur l'enfant, et lui faisait présager plus encore un désastre suite à l'annonce qu'il devait lui faire. Il grogna légèrement, contrarié par ses propres pensées, avant de reprendre un sourire affable.

« Tu visiteras probablement tout Matroos, cela est certain. Regarde moi, je ne suis pas marchand de profession comme ton père ou ton grand-père, mais j'ai même été jusqu'à Korrul, il y a bien longtemps... » Cette époque le faisait encore rêver, d'ailleurs, comme les petits vieux sur les quais des spatioports qui n'ont pour eux que l'envie de raconter. « J'espère qu'un jour, tu verras tout ce que j'ai vu, petite fille. Les gigantesques arbres-sorciers de Midel-Heim, les montagnes d'Errande... Le foisonnement des plantes de l'Oasis, même de loin, est un spectacle que l'on ne peut manquer dans sa vie, tu peux me croire. Et les animaux de là-bas... »

Il secoua la tête d'un air désolé, pour tenter d'en sortir toutes ces images de désert brûlant et toutes ces senteurs d'épices qui flottaient sur les marchés d'Ofägar... Il ne reverrait probablement jamais Korrul, et cela l'attristait.

« Enfin, si ce n'est avec ton père, ce sera avec ton mari. Si tu tâches de séduire celui que l'on t'attribuera, tu peux être sûre que tu feras bien des choses au gré de ton envie. C'est là le pouvoir des femmes, on ne peut rien leur refuser. Surtout lorsqu'elles savent mentir correctement... Il faudrait que je t'apprenne. », ajouta-t-il innocemment, signe qu'il avait bien compris qu'elle ne lui disait pas la vérité, mais qu'il ne poserait pas de question.

C'était un moyen de tâter le terrain, de voir comment l'enfant envisageait ce destin tout tracé. Il fallait procéder avec double précautions : elle était jeune et impétueuse, et elle était la fille d'Eshisil, qui ne manquerait pas de lui rentrer dans le lard – expression au passage tout à fait appropriée au tour de taille de Varen -, eut-il le malheur de traumatiser la fillette.

Varen souriait, une affabilité toute feinte pour cacher des manoeuvres plus délicates encore que celles qu'il opérait habituellement en présence d'adultes. La réaction de l'enfant lui laissait une impression mitigée ; elle n'était pas contre l'idée, mais elle ne renoncerait pas à ses rêves, et les dits rêves n'étaient pas des plus convenables pour une jeune fille. Enfin... Il ne connaissait pas le garçon, peut-être auraient-ils cela en commun. Il en venait à le redouter et à l'espérer à la fois.

Saelia riait, et il lui semblait qu'à présent que le sujet était abordé, ce pouvait être le moment de la révélation qu'il n'avait que trop laissé traîner.

« Ah... Tu as donc bien compris, ma petite, les choses sont en cours. Ton père et ton grand-père m'ont demandé de t'expliquer leurs desseins, puisqu'ils sont absents et qu'il vaut mieux que tu saches ; tu es fiancée. »

Il tira une bouffée de sa pipe, laissant l'information planer un instant avant de donner des détails. Roval et Mahasaël auraient tout intérêt à lui refiler une vraiment bonne bouteille pour se faire pardonner de ce coup bas. Et peut-être une nouvelle pipe. Sérieusement, ils étaient sans gêne, c'était leur charge dont Varen s'occupait à l'instant.

« Ta réaction me plaît, tu sais. » Ce n'était qu'à moitié vrai, mais il fallait bien lui rappeler qu'il était son grand tonton, et là, tout de suite, son ami. Il ne voulait que son bien. Le salopard. « Et puis, tu auras le temps d'essayer de le convaincre, ce jeune homme, il est évident que les noces ne sont pas pour tout de suite, tu dois encore grandir un peu. »

Tentant de se remémorer tout ce que les deux autres lâches lui avaient expliqué sur le sujet, il entreprit d'exposer la situation à la petite demoiselle, avec un enthousiasme qui n'allait que très peu à sa stature de vieux bonhomme grincheux.

« Il s'appelle Elior, c'est l'héritier de la famille Gotruscos. Ils fabriquent des produits cosmétiques et des médicaments, ils ont leur propre vivenef... Que tu te feras un plaisir d'explorer, n'est-ce pas ? Il y aurait bien moyen de s'arranger pour visiter Matroos à ses côtés, tu verras, et tu auras tout un nouveau domaine dans lequel te promener, avec des serres immenses, et... Ah. »

La domestique revenait, coupant sa piètre tentative de peindre les choses sous un jour lumineux. Varen attrapa la petite cage entre ses mains gantées, rendues maladroites par le gonflement de la maladie. Il eut un grognement satisfait.

« Merci mademoiselle, vous pouvez disposer. Aah ma petite... Voici mon cadeau. Tu peux l'ouvrir, mes doigts ne me permettent plus de déclencher de si fins mécanismes. »

Dans la cage, un petit animal roulé en boule dormait paisiblement, apparemment pas perturbé pour un sou par le déplacement.

« C'est un gania apprivoisé. Si tu le soignes bien et que tu le nourris tous les jours, il s'attachera à toi pour devenir un fidèle compagnon. Il connaît certains tours, il peut te rapporter de petits objets. »

Que c'était mal de tenter de la distraire.

"Dame Eshisil ! Dame Eshisil !"

La dite Eshisil s'arrêta brusquement et se retourna. Devant elle, se tenait la vieille cuisinière Veffene, l'air soucieuse. Alors, d'une voix douce et agréable, l'épouse Shei'Arcath lui intima de lui raconter son malheur.

"C'est que .... Dame Eshisil, cela ne me regarde pas mais... mais mes oreilles se sont retrouvées au mauvais endroit tantôt. Et j'ai appris que Monsieur le Maître avait conclu un accord de mariage concernant la jeune mademoiselle Saelia avec le jeune  monsieur Gostrucos..."

Le sang de Eshisil se glaça en un instant. L’instinct maternelle qui la faisait vivre chaque journée de plus, criait au désespoir. Son enfant, sa fille, sa Saelia forcée de se marier déjà, si jeune, et en plus de ça, avec la famille la moins populaire de Matroos. Mais où avait-donc la tête Mahasael ?

D'une fureur qui lui était presque inconnue, la jeune Marchande pressa Veffene de lui dire où se trouvait Mahasael.

"Mais c'est que .... Dame Eshisil, il est parti tôt ce matin avec le jeune monsieur Arkaïs. C'est votre Oncle, Monsieur Varen qui doit s'acquitter de cette tâche ! Il se trouve dans la demeure de Monsieur Kalder...

Elle n'eut pas le temps de terminer que Eshisil, retroussant ses robes, courut en direction de la villa voisine en lança un bref "Merci Veffene" au passage.

La route vers la deuxième villa était un peu longue à pied. C'était une promenade très agréable car on passait près des vignobles. Le soleil vous chauffait la peau et milles et une odeurs agréables pimentaient votre odorat. Cependant, pour cette fois, le cœur d'Eshisil battait si fort qu'aucun de ces habituels plaisirs n'arrivaient à l'apaiser.

Lorsqu'elle arriva devant la belle demeure de son grand oncle Kalder, les domestiques ouvrirent la porte sur son passage avec une lueur de curiosité dans les yeux. Sans se laisser démonter, la mère de Saelia entra en trombe dans le hall et au premier serviteur venu, elle demanda où se trouvait Varen.

"Par ici Dame Eshisil, veuillez me suivre."

Elle emboîta alors son pas et reprit son souffle. Le jeune serviteur avançait d'un pas vif et rapide et Eshisil s'en estima plus que chanceuse. Lorsque l'homme ouvrit la porte, elle aperçut sa fille, droite comme un i devant le frère de son mari, Varen.

Au fond d'elle, Eshisil ne ressentait qu'une amère répugnance pour cet homme. Malade, empoté et repoussant, il n'avait rien de ce physique si séduisant des Shei'Arcath. Mais il émanait de lui une tel atmosphère que lorsqu'il prenait la parole, on se sentait comme un enfant devant lui.

Alors, prenant son courage à deux mains, l'ancienne Ondeluire s'avança d'un pas raide vers Varen :

"Qu'est-ce donc tout ceci ? J'ai ouï dire que Saelia était promise au fils Gostrucos ? J'ose espérer que tout ceci est une farce !"

Tout le monde surnommait la jeune femme "la douce et fragile Eshisil", car il était de notoriété publique que son mari avait au fil des ans, écraser tout caractère de rébellion dans sa personnalité. Et lorsque les gens regardait sa fille, Saelia, ils voyaient tout ce que sa mère n'était pas.

Mais la plupart des gens se trompaient, car sous un caractère entièrement soumis à son rang, une seule chose faisait bouillir le sang de Eshisil. Ses enfants. Elle pouvait subir mille tourments mais s'attaquer à ses enfants réveillait en elle un instinct surprotecteur.

Calmement, Saelia écoutait les paroles de son grand oncle. Fiancée. Elle était fiancée. La rouquine était enchantée des opportunités de découverte liées à cela, mais en même temps gênée. Toute chose a ses avantages et ses inconvénients, et malgré les dires de son oncle, elle avait peur de se retrouver prisonnière de ce lien et sans aucun contrôle.

Néanmoins, Saelia n'était pas du genre soucieuse et elle chassa ces idées noires de son esprit. Pour l'heure, elle ne voyait son futur mari, Elior, comme un nouveau venu dans son monde, et avec qui elle pourrait devenir ami.

Tandis qu'elle écoutait l'Oncle Varen décrire la famille Gotruscos, une domestique entra dans la pièce, une petite cage à la main, coupant court au monologue du bonhomme. Ce dernier attrapa la cage et la tendit à Saelia. Personne n'aurait pu ne pas voir que le visage de la jeune fille s'illumina de joie, tandis qu'elle ouvrit la cage. Non seulement elle aimait les cadeaux, mais celui-ci était beaucoup mieux que tout ce qu'elle avait pu avoir avant.

Au son du verrou, le petit Gania se réveilla et fixa la jeune fille qui fit de même. Que sa crête est belle, d'un rouge éclatant, se dit Saelia ! La petite bête s'étira et après avoir renifler la petite main que la rouquine lui tendait, il sauta sur son bras et se percha sur son épaule, tout en grognant et se frottant contre sa joue.

"Oh, merci, merci, merci, mon Oncle !! J'en prendrai soin, promis ! s'exclama Saelia, Flammèche et moi, on va devenir les meilleurs amis du monde !"

Soudain, la porte s'ouvrit d'un coup, se qui fit sursauter Saelia. Sur le pas de la porte se tenait sa mère. Elle était visiblement très en colère. À sa vue, Saelia se fit petite et s'écarta de quelques pas du fauteuil où était assis son oncle. Elle ne voyait pas souvent sa mère en colère, mais quand c'était le cas, elle se faisait toute petite. Elle soupira néanmoins en son fort intérieur, car sa colère était plus destinée à son oncle qu'à une éventuelle bêtise qu'elle aurait pu faire. Pour une fois.

Tout avait marché, comme sur des roulettes. L'enfant était joyeuse, insouciante quant à l'ampleur de la nouvelle que Varen venait de lui annoncer. Elle s'occupait déjà de la petite bête sous le regard du vieux bonhomme satisfait. C'était une bonne chose de réglée... Il suffisait de filer avant de croiser la harpie.

Malheureusement pour Varen, les harpies – et les nouvelles – vont vite. L'Ondeluire entrait dans le salon. Le politicien se retint tout juste de soupirer ; un combat à peine gagné, le second round commençait. Kalder et Mahasael avaient tout intérêt à se faire pardonner lorsqu'ils reviendraient. Il allait réclamer quelques bonnes bouteilles, pour la peine.

« Ah. Dame Eshisil. »

Point de nièce pour elle, point d'attentions ni d'inquiétudes, un accueil plutôt embêté, car elle n'avait rien à faire là. Une femme soumise, encore une... Mais celle-là n'avait pas pour elle la douceur et les égards de la petite Mihaly. « Douce et fragile »... Pas comme la soie, plutôt comme la porcelaine. Froide et cassante.

L'homme se dandina dans son fauteuil pour s'y installer plus confortablement, avec un raclement de gorge rauque. Il tira une bouffée de sa pipe ; il allait en avoir besoin, malgré un calme apparent et son habituelle bonhomie.

« C'est peut-être une farce. Vous devriez demander à votre époux quand il rentrera. Il doit bien y avoir une raison pour laquelle il ne vous en a pas parlé. Peut-être pour éviter ce genre de réaction avant que le contrat ne soit conclus. »

Il forma un rond de fumée parfait, et le regarda s'enfuir vers le plafond, rejoindre le reste du smog qui envahissait la pièce depuis qu'il s'y était assis.

« Vous ne pouvez plus rien y faire à moins d'offenser gravement une autre famille Marchande, aussi bancale soit-elle. » Il sourit, paternel. Un paternel serpent, au sourire venimeux qui voulait lui rappeler sa place. Retourne à tes travaux d'aiguille, femme. « Allons. Vous saviez bien que ce jour arriverait. C'est peut-être un peu... tôt, j'en conviens, mais le mariage est pour dans longtemps. »

Il se tourna vers la petite fille, considérant la conversation close, lui parlant après une légère quinte de toux.

« Tu vas donc l'appeler Flammèche ? C'est charmant, vraiment charmant. »

HRP:

Toujours plantée droit comme un « i », Eshisil fulminait intérieurement. Le regard plein de dédain que lui adressait Varen avait le don d’accroitre sa colère envers les Shei’Arcath. La réponse du vieil homme ne contenta pas la jeune femme, mais elle parut un peu déstabilisée.

« Mais enfin ! Tout ceci est complétement stupide. Saelia est une Ondeluire et une Shei’Arcath – Eshisil insista bien sur le Ondeluire avant le Shei’Arcath - , elle est enfant d’une puissante famille. Quel est l’intérêt de la marier avec les Gostrucos ? Tout le monde sait que cette famille vit dans la dépravation et qu’ils n’ont plus d’argent. C’est complétement ridicule, vous devriez le savoir. »

La jeune femme marqua une pause, mais toujours prête à rebondir à la moindre occasion. Une part d’elle était déchirée de savoir sa douce Saelia déjà mariée. Sa fille était intrépide, rebelle et aventurière, et Eshisil savait qu’elle serait toujours malheureuse en mariage. Mais telle était la vie des Marchands… Elle avait alors voulu faire en sorte de la marier le plus tard possible pour qu’elle puisse rester indépendante le plus possible.

L’épouse Shei’Arcath reporta son attention vers sa fille et vers… un gania. C’était donc ça ! Pour acheter le consentement de sa fille, Varen lui avait donné un cadeau.

La jeune femme fusilla du regard le vieux politicien mais n’eut pas le cœur de reprendre le cadeau. Elle ne voulait que Saelia fasse une scène devant son Oncle et reprendre le cadeau serait une insulte pour lui.

En tant qu’épouse, Eshisil n’avait jamais le beau rôle, alors elle avait décidé de tout céder à ses enfants. Elle ferait tout pour qu’ils soient heureux le plus longtemps possible.