Histoire

Droite, gauche.
Pourquoi l'un plutôt que l'autre ? Il n'y avait aucune logique, aucun indice pour le pousser dans l'une ou l'autre de ces direction. Rien que des murs blancs, oppressants, qui enfermaient l'immensité du ciel en une étroite bande de lumière au dessus de sa tête. Il y avait longtemps qu'il avait arrêté de se poser la question de savoir quel embranchement prendre, il marchait au hasard du dédale sans même plus prier ni espérer. Il marchait encore et marcherait tant que ses jambes le porteraient et puis quand elle céderaient, engourdies de froid et de fatigue, il tomberait. Il ramperait, un peu, et puis il chercherait une niche, une fissure, une érosion quelconque où se protéger un peu de la neige qui avait recommencé à tomber et s'endormirait comme tous les autres endormis du labyrinthe. Ils dorment. Ils n'ont plus d'yeux mais il dorment, je le sais. Ils dorment en attendant. Car que restait-il à faire sinon attendre un miracle ?

L'épreuve de l'aviné avait été moins éprouvante qu'il ne l'avait imaginé. Une fois quelques côtes brisées et les sentinelles et les guerriers lâchés à ses trousses, on oubliait qu'il s'agissait d'une épreuve, lui l'avait oublié en tous cas, et il avait couru pour sa vie. Son lien et son expérience de chasseur lui avaient été très utiles pour semer ses poursuivants. Ils savait comment on traquait, il avait su où et quand ils étaient passés pour les éviter. La blessure ce n'était pas la pire. Le pire c'était la solitude, errer pendant les jours les plus longs qu'il ait jamais vécus, errer pour errer, sans endroit où rentrer, où s'abriter et il serait mieux mort de faim, de froid ou de peur que des suites de ses fractures. Mais il y avait un délai, une échéance à la douleur, au terme de laquelle il était rentré, en piteux état certes, mais il était rentré. Si il s'en était senti incapable, si à un moment un seul il avait lucidement pensé que cette épreuve était au dessus de ses forces, ils les auraient laissé le retrouver ou serait allé crever dans un coin. Il s'en savait capable. A aucun moment il n'avait réellement pensé qu'il n'était pas assez fort pour le supporter, pas assez intelligent pour rester hors de leur portée... Qu'y avait-il ici ? Aucune échéance sinon celle de sa résistance physique, de la force de son mental, et il n'aurait su dire lequel des deux avait fléchi le premier.

Il ne sortirait jamais de ce labyrinthe, et ce n'était pas un moment de désespoir passager, c'était une évidence. Lui qui plus que tout redoutait le noir et ce qui se tapissait dans les ombres, il avait tenté de s'aventurer dans les niveaux inférieurs. Il n'était pas allé bien loin. Une Aranélia s'était installée dans les escaliers et il lui était littéralement tombé dessus en glissant sur les marches érodées. Sa torche lui avait glissé des mains et il avait du combattre la créature à l'aveuglette. Il ne savait comment il avait réussi à la tuer en abattant son couteau au hasard, sans doute qu'elle devait être aussi surprise que lui. Il avait plusieurs fois senti les assauts de ses pattes fébriles manquer de peu son visage ou ses flancs, ils s'étaient combattu aussi hasardeusement l'un que l'autre, il avait simplement eu plus de chance. Sur le coup il n'y avait pas songé, trop secoué pour songer à quoi que ce soit d'ailleurs. Il avait cherché sa torche à tâtons mais avait vite renoncé, trop peu désireux de s'aventurer à quatre pattes dans l'obscurité la plus totale, alors il avait fait demi-tour. Il avait cherché les marches glacées, s'était hissé pour remonter sur les pierres humides et glissantes, réveillant ses côtes encore mal guéries de l'Aviné. Il savait bien qu'il devrait passer par tous les étages du labyrinthe pour espérer en trouver la sortie mais il ne le pouvait pas. Il pouvait le vouloir, il pouvait hurler, prier, se faire des promesses et étaler des projets sur son avenir pour se donner du courage, il ne pouvait physiquement pas retourner en bas. Une peur maligne s'était insinuée en lui, qui dans sa solitude, convoquer toutes ses peurs et tous ses doutes, qui lui tordait le strippes et empêchait ses jambes d'avancer.

Depuis, il se contentait de errer dans la partie supérieure sans plus même essayer de deviner quelle voie serait la bonne parmi les milliers d'itinéraires possibles, il se contentait de marcher, comme lorsqu'il avait du rentrer au village après la première épreuve, chancelant et vidé de ses forces, sauf que cette fois ci il ne marchait plus vers un réconfort, le seul qui pouvait l'attendre maintenant c'était... Mais non, il se refusait encore à formuler cette pensée, il gardait les maigres lambeaux de courage qui lui restait pour lutter contre ça, le pessimisme. Cela faisait cinq jours qu'il était dans le labyrinthe, d'autres étaient ressortis plus tard encore, tout n'était pas perdu. C'était ce qu'il se martelait à longueur de temps mais il n'y croyait même plus. Il n'y avait pas de raisons pour que cela marche pour lui qui n'avait même pas essayé de s'en sortir, qui avait lâchement abandonné au premier obstacle. Sa seule consolation était encore qu'on ne retrouverait pas son corps parce que personne ne se risquerait à venir chercher un cadavre ici, sa famille n'aurait pas la honte de savoir qu'il avait pathétiquement échoué au début de l'épreuve. Cette fois il ne suffisait plus de grimper dans un arbre comme pour l'épreuve de l'Aviné. Il s'arrêta un instant, passa une main désabusée dans sa longue crinière emmêlée. Il laissa sa tête tomber en arrière pour regarder le ciel et son cœur se remit à battre comme celui d'un vivant. Grimper. Il pouvait s'en sortir ainsi. C'était tricher, c'était lâche, c'était indigne mais c'était une issue, et sans doute la seule à sa portée.

Cette porte de sortie lui redonna courage et il s'employa à trouver une zone ou son escalade serait facilitée par la végétation ou les aspérités des murs qui lui semblaient soudain moins oppressants. Il perdit quelques heures à trouver le lieu le plus adapté avant de trouver une paroi qu'une plante grimpante désormais morte et sèche avait abîmée par ses épines, créant des irrégularités dans la glace auxquelles il pourrait peut-être s'agripper. Peut-être. Il sursauta en entendant un grondement et l'inquiétude eu raison de son regain d'espoir. Il scruta fébrilement les deux extrémités du couloir dans lequel il s'était aventuré, encochant lentement une flèche en attendant de voir surgir le danger. Son arc n'était pas fait pour la rapidité. Il était énorme, plus grand que lui et bien plus encore que les arcs habituels. C'était une arme lourde, faite pour la patience et le silence. Il le calait sur une branche solide ou un rocher, ne bougeait pas et attendait qu'une proie passe dans son champ de tir. Il avait eu la plupart des créatures qu'il avait croisées sur son chemin sans trop de peine, elles n'étaient pas à leur avantage coincées entre deux murs alors qu'il pouvait les avoir à longue distance, mais là c'était lui était en mauvaise posture et même un Hettarotta n'aurait aucun mal à passer outre sa défense trop lourde, trop lente. Un autre grognement plus fort que les précédents se fit entendre juste derrière lui et il se retourna, paniqué et de savoir son ennemi si proche et de ne pas l'avoir entendu approcher.