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Kataleyah Teim-Cruan
Déserteur

On m'appelle Kataleyah Teim-Cruan


Infos Personnage
RANG: (joueurs que votre personnage à renconter en RP)
VILLE & APPARTENANCE : Cimes Hérissées
MON AGE : 26
Féminin
MESSAGES : 2191
AGE : 34
INSCRIT LE : 18/02/2012
PSEUDO HABITUEL : Nano.
Joyaux : 377
http://www.ile-joyaux.com/t480-kataleyah-teim-cruan
Posté dans [RPI]La Trace    - Lun 1 Avr 2013 - 13:23

Spoiler:
 
Tu m'as dit un jour "Ce que mon souffle teintait d'or et de carmin mettait à genoux la grande armée des archipels de l'Ouest. A une époque où notre gloire s'étendait au delà de l'Océan sans Fin ; à un âge éteint qui vit le rayonnement de nos deux races." Montre-moi ce temps là encore une fois... dieu du ciel et de la terre !

Il s'exécuta.
L'insatiable paysage blanc balayé par ce vent calme mais chargé de flocons laissa brusquement place à l'horizon enflammé d'un puissant soleil qui s'élève jusqu'à atteindre son zénith. Ses rayons dorés escaladèrent les hauts murs écaillés d'une cité verticale dont les fondations s'enracinaient au pied d'une chaîne de montagnes aux crêtes aiguisées. Elles formaient un demi-cercle autour de la ville en éveil. De loin, on distinguait aisément les grands arceaux de pierres qui marquaient chaque entrée de palier, comme un escalier enroulé autour de cette tour vermeil aux dimensions titanesques. Le dernier et de toute évidence le plus imposant trônait au cœur d'une place aussi vaste qu'une prairie, dallée de marbre noir et envahie par un jardin sauvage. Treize petites cascades d'eau claire s'écoulaient par la gueule ouverte de créatures adulées taillées dans cette même pierre sombre mais éclatante. Les paliers inférieurs relayaient l'eau jusqu'au pied de la cité pour ainsi former un large fleuve bleuté autour de l'enceinte rugueuse sur lequel une centaine de voiles multicolores progressait en direction de la forêt de séquoias violet, plus au sud. D'autres au pont chargé croisaient leur route en sens inverse.

Le vent porta Kataleyah en plein centre du marché principal quelques niveaux sous la grande place. L'activité grouillait ; couleurs, odeurs, saveurs et sons l'atteignaient tous à la fois avec un puissant réalisme. Le soleil caressa d'une douce brûlure sa peau gelée. Elle ferma les yeux un instant pour savourer cette sensation qui effaçait momentanément la réalité de l’hiver erfeydien.
Ses peaux et fourrures humides l'entravaient. Elles n'allaient pas avec cet environnement, non, il lui fallait une de ces belles robes au tissu fin et léger que portaient les passantes.  
- Voilà qui est mieux, murmura-t-elle en baissant les yeux sur l'étrange soie ocre qui la recouvrit alors.

Comme s'il fut gêné par ses précédents vêtements, l'astre flamboyant réchauffa soudainement son corps entier. Elle en suait même, peu habituée à ces températures. Une brise la rafraîchit tout en apportant le parfum sucré d'un fruit exotique aguicheur de papilles. Elle se dirigea vers lui à bonne allure mais son regard ne cessait d'attraper tout ce qui constituait le tableau. Étale colorée par une palette d'épices aux senteurs plus variées encore que les pétales séchés de l'immense corbeille tressée d'à côté. Banc de poissons tout juste tués et vidés par un pêcheur à la moustache aussi longue que celle du poisson chat qu'il tenait encore vivant entre ses paluches. Jeux décoratifs de tiges en bois souple agrémentés de fleurs parfois géantes parfois pas plus larges qu'un pouce. Lampes de papiers aux motifs épiques savamment manipulées par une enchanteresse d'ombres et de lumières qui illustrait ainsi l'histoire des seigneurs aux curieux attroupés.
Elle discernait nettement chaque détail des produits exposés mais les habitants n’étaient que de vagues silhouettes floues qui aillaient et venaient entre les étales. Impossible de voir leur visage, d'identifier leurs traits et leur voix étaient étouffées, comme le son d’un instrument à vent équipé d’une sourdine. Quelle langue parlaient-ils ? Il lui semblait reconnaître des mots, ou peut être juste des syllabes… Kataleyah tendit la main vers un homme en armure. Il se retourna et passa à travers elle sans plus de cérémonies pour aller sermonner un gamin plus loin.

Puis le décor changea soudainement. La voilà à l’intérieur d’une bâtisse surmontée d’une coupole faite de vitraux peints. La salle centrale était ovale, spacieuse et suffisamment haute pour contenir un trois mâts toutes voiles déployées. Lentement, elle tourna sur elle-même. Du sol de marbre au plafond, les murs étaient recouverts d’une armée d’étagères et leurs bataillons de livres. L’odeur du vieux parchemin et de la cire chaude remonta à sa mémoire.
La bibliothèque n’était pas vide d’hommes, ils étaient plutôt nombreux même. Un groupe entier vêtu d’une longue toge blanche avec une sorte de losange brodé dans le dos débattait à voix basse suite aux questions d’un vieillard chauve à la barbe clairsemée. Installés sur des fauteuils, des lecteurs éparpillés étudiaient silencieusement les vieux ouvrages. Il régnait dans cette salle une atmosphère paisible, propice à la découverte. Kataleyah, qui lisait pourtant très peu – faute de livres – eut la subite envie de dévorer chacun des écrits de cette immense bibliothèque dans l’espoir d’y percer tous les secrets du monde mais aussi se noyer dans un univers merveilleux qui n’était pas le sien.

¤¤¤

Peu après la troisième réunion qui rassembla nombre de chefs de clan dans le Hall des Héros, l’oracle Teim-Cruan jugea temps pour elle de poursuivre ses affaires et de passer le flambeau à son aîné. Peottre demeurait donc au Nord afin de guider la faction qui s’organisait vaille que vaille dans un semblant d’unité.
Elle voyagea à vol de yagock les deux premiers tiers du trajet, traversant les contrées vallonnées du Nord Est jusqu’aux Cimes Hérissées, où elle fit halte une courte semaine. Là-bas, elle n'eut guère le temps de se reposer. Le peuple était agité, il lui posait des questions. Il voulait savoir si tout irait bien, si les étrangers étaient vraiment nombreux, s'ils devaient se préparer à une invasion. L’Oracle les rassura tous un à un, sans leur mentir d'aucune façon. Oui, il y avait des risques. Peut-être qu'avant la fin du mois, les étrangers trouveraient un moyen de franchir la Muraille et de piétiner leur sol. Leurs armes étaient méconnues du Gardien, elles étaient redoutables mais le sang bleu des Erfeydes ne les trahiraient pas. Ce serait leur meilleure défense, aussi ne devaient-ils pas douter en Lui. Leur foi les guiderait dans le besoin. Et quand bien même ils auraient perdu tout ce qui constituait leur univers, il ne faudrait pas céder à l'appel séduisant de la désertion. Tant qu'il y avait deux erfeydiens debout, leur espèce perdurerait. Si telle était la décision du Gardien, ils recommenceraient tout à zéro après une longue exode vers une nouvelle terre nourricière, comme leurs ancêtres firent à l'époque.
Elle demanda à ce que l'on répande ses paroles dans chaque village, chaque foyer. Elle rencontra plusieurs patriarches, à la tête de village plus ou moins modeste. Elle s'enquit de leur situation puis leur proposa des solutions. Contre l'augmentation du vol de bétail, elle promis de faire appel aux petits clans de l'ouest pour les aider. Contre la prochaine tempête qui ne tarderait plus, elle leur montra comment soutenir les hauts arbres de l’orée de la forêt et éviter des chutes mortelles sur leur chaumière. Contre le départ massive de leurs artisans, elle parvint à obtenir la promesse de rester sur place aux derniers forgerons, charpentiers, boulangers et soigneurs herboristes.
Le quatrième jour, elle se rendit dans un village au nord des cimes. Malgré le détour, elle prit plaisir à célébrer le mariage de la fille d'un patriarche reconnu, ancien chef d'un puissant clan. Ce fut là la seule soirée où elle se permit un peu de détente, dans la mesure du possible. Devant le visage rayonnant de la jeune femme, elle ne put s'empêcher de ressentir une pointe de tristesse mêlée de jalousie. En tant qu'oracle, Kataleyah avait juré entière fidélité au Gardien et au peuple erfeydien. Ce type de lien lui était formellement interdit. Elle avait déjà dépassé la limite, et se lamentait de son geste. Elle repoussait avec force la tentation alléchante de tout laisser tomber car après tout, pourquoi elle et pas un autre ? Ce qu'elle perdait en valait-il vraiment le prix ? Elle était tiraillée entre deux vies qui échappaient tout doucement à son contrôle. Elles la consumaient dans leur désir commun de dominer l'autre. Jusqu'à un point de non retour.

Les jours suivants, Kataleyah apprit qu'un groupe de déserteurs avait franchit les frontières sacrées des Glaciers. Au départ révoltée par la nouvelle, elle voulu retarder son voyage afin de dénicher elle même la cachette de ces hérétiques mais le Gardien apaisa sa colère.
Non, elle n'avait pas à s'inquiéter de ces fous. Ils étaient dans son territoire, et la mort précédée par la folie avait depuis longtemps eu raison d'eux. Comme le piège d'une aranelia, ils s'étaient jetés dans la toile séduisante des origines de l'île. Leur découverte leur avait coûté la vie. Que les erfeydiens répandent cette histoire jusqu'aux quatre coins du pays, elle servirait de leçon aux aventuriers arrogants et renforcerait la position de l'esprit millénaire.

Enfin, elle quitta la douce protection des Cimes Hérissées pour s'engouffrer dans les terres sauvages du sud-est. Ces régions étaient les plus désertes de l'île. Les clans de factionnaires qui y imposaient leur justice était plus petits mais tout aussi redoutables que leur voisin du nord. La vie qu'ils menaient les rendait plus durs, plus intransigeants autant envers les déserteurs qu'eux mêmes. Kataleyah n'avait rien à craindre d'eux en raison de son statut, mais elle ne souhaitait pas les voir se mêler à ses affaires. Malgré ses protestations, elle savait que leur ferveur envers le Gardien les pousseraient à escorter l'oracle dans tous ses déplacements jusqu'à ce qu'elle regagne les cimes. Ainsi, elle avait décidé de voyager à pied, sans s'embarrasser d'une monture, avec le strict nécessaire. Elle avait déjà mis à l'épreuve son endurance, et il lui restait un peu plus de 500km à parcourir. Sans être particulièrement pressée par le temps, elle se contenta de peu de halte en journée, et moins encore la nuit.
Cependant, la tempête attendue pour la nouvelle lune eut lieu avec une semaine d'avance.

Cela faisait maintenant plusieurs heures que Kataleyah affrontait les vents violents qui battaient le versant nord de la chaîne d'Adiem. La neige fondu avait cristallisé sur ses vêtements les rendant rigides et inconfortables. Son eau gelée dans sa gourde pesait plus lourd que la dague ceint à sa taille. Toutes les épaisseurs de ses bottes ne suffisaient plus à l'isoler du froid, pas plus que la fourrure sur son dos. Ses lèvres séchées se striaient de rouge salé et la moindre parcelle de peau de son visage qui échappait à la protection de son écharpe était sujette au froid anesthésiant. Elle longeait la chaîne montagneuse à basse altitude et pourtant elle semblait manquer d'oxygène comme au sommet des plus hauts glaciers. Elle savait qu'il existait des cavernes dissimulées derrière les bosquets éparses du paysage où elle trouverait refuge le temps d'une accalmie mais la neige tombait avec une telle densité, qui plus était renforcé par le blizzard. On n'y voyait pas plus loin que quelques pas !
Soudain, une ombre imposante se dessina non loin d'elle. Kataleyah crut d'abord à une bête sauvage, auquel cas elle doutait de s'en tirer sans blessure pour la ralentir, puis la masse prit forme alors qu'elle se rapprochait rapidement. Un homme grandit par son armure et son heaume hérissé de bois d'urcan bondit sur elle alors qu'elle s'enfuyait déjà. De toute sa masse il la plaqua au sol et l'immobilisa avec une facilité déconcertante. La neige amorti leur chute mais le plastron en fer de l'étranger lui compressait douloureusement les côtes. Elle tenta tant bien que mal de donner des coups de genoux pour se dégager mais elle ne fit que s'épuisait davantage.
- Tu te trouves sur le territoire du Déchireur Lunaire déserteur ! Tonna-t-il à tue-tête par dessus l'orage. Ta tête ira rejoindre celle des ennemis du Gardien !
- Non !  Hurla-t-elle pour se faire entendre alors qu'il se redressait en levant sa hache d'acier noir. Je suis l'oracle Teim-Cruan, imbécile !
Elle s'étouffa sur ses paroles, trop heureuse de pouvoir respirer à nouveau l'air chargé de flocons. L'arme du factionnaire termina habilement sa course dans un sifflement pour venir se planter à côté de la tête de sa cible.
- Hahaha ! C'était moins une alors !  Ria-t-il avec toute la puissance de son énorme thorax.
Il se releva et tendit une main à Kayah.
- Allez suit moi, ou on va y passer tous les deux , lança-t-il en s'approchant assez pour voir son visage. Ce sera au chef de décider si t'es bien oracle ou non, moi j'ai jamais rencontré les élus !
Kataleyah ne put contenir un juron. Ce qu'elle avait tant redouté, à moins de deux jours de sa destination, allait l'obliger à faire un détour. Au moins, ce soir elle serait au chaud, mangerait et boirait tout son saoul.

A une demi-heure de marche se trouvait le campement du « Déchireur Lunaire », surnom donné par ses hommes au chef des Collectionneurs de Crânes. Un nom de clan ridicule, si on n'avait pu voir de ses propres yeux toute la vérité qui découlait de ce triste titre.
Sortant de la montagne, un plateau surplombait la vallée qu'ils avaient quitté, marquant l'entrée d'une grotte plus grande encore que le Hall des Héros. Une vingtaine de têtes humaines parfaitement conservées par le froid de l'altitude formait une barrière sinistre en demi-cercle. Chaque visage déformait par la douleur racontait à sa façon les conditions dans lesquelles ces déserteurs avaient été massacrés. L'Oracle haïssait les déserteurs, et pour des raisons qu'elle aurait voulu oublier, mais elle n'était pas assez mauvaise pour cautionner tout acte de torture. Il y avait même des enfants dans cette étalage de suprématie ! Le visage fermé, elle réprima ses pensées et suivit le factionnaire en silence.
A l'intérieur, plusieurs feux aux fumées ingénieusement évacuées par des conduits percés dans la voûte apportaient une chaleur presque indécente après le froid de ces derniers jours. Il y faisait sombre et feutré comme dans les tavernes des villages, mais une odeur rance imprégnait les parois humides de la caverne. Le long d'une façade des tréteaux servaient d'armurerie. Les épées s'y entassaient au milieu des flèches, carquois, plastrons, casques et bien d'autres. Chaque lame était souillée d'un sang séché et de rouille.
La jeune erfeydienne songea que si son « guide » l'avait seulement effleurée un peu plus tôt, elle aurait sûrement pu y passer des suites d'une maladie. Ce dernier la conduisit au fond de l'antre du clan, peu rassurée. Elle évitait volontairement cette partie de la faction. Les guerriers se turent sur son passage tout en la dévisageant. Inconsciemment son esprit se tendit vers toutes les fioles d'ithylium présentes. Qu'ils doutent de son identité et elle saurait leur montrer la force qui l'habitait.
Assis sur un tronçon de bois près d'un feu où rôtissait une pièce de viande, ce ne fut pas le pénible faciès de l'homme qui figea l'oracle, mais le mur derrière lui qu'elle découvrit à la lueur des flammes.
Haut de dix pieds et large de deux fois plus, un imposant triangle composé de têtes barrait sa surface ruisselante. Chaque crâne en décomposition était ancré dans la roche grâce aux tours d'un affilié minéral. Comment pouvait-on faire usage de la magie erfeydienne pour un tel tableau ? A quoi bon toute cette mise en scène ? C'était ignoble, tant par la puanteur que l'image. L'oracle avait déjà vu bien des abominations humaines en partageant les mémoires du Gardien, aussi sut-elle conserver un masque digne, mais son sang bouillonnait. Elle planta un regard noir et sévère dans les yeux vairons du Déchireur Lunaire.
- Elle dit être oracle, fit simplement le factionnaire qui l'avait conduite dans ce trou d'immondices. J'sais pas si c'est vrai ou pas, mais elle a pas l’accoutrement d'une déserteuse alors je l'ai amenée là.
- Tu as eu raison, Darg. Laisse nous maintenant.

Cet homme avait un timbre particulier, entre le crissement et le roulement du vent. Il parlait à voix basse d'un ton calme qui laissait sous-entendre sa folie dans ses moments de « justice ». Il était grand, presque autant que Peottre, mais rachitique, comme rongé par la maladie. Pourtant, Kayah ne doutait pas d'une force malsaine cachée sous ses loques. Il portait une barbe irrégulière coupée d'une longue estafilade blanche du menton à la narine. Sa bouche large lui donnait un air de dévoreur, du genre des monstres décrits dans les histoires pour enfant. Ce fou n'avait rien pour plaire, et pourtant il émanait de lui un charisme dérangeant. Il lui fit signe de s’asseoir avec un humble salut de la tête.
- Je suis Rishbörg Corm, dit le Déchireur Lunaire. C'est un honneur d'abriter un hôte de notre Maître et Protecteur.
- Je suis l'oracle Teim-Cruan, répondit-elle d'un ton égal. Et je te remercie pour ton hospitalité, guerrier de la Faction. Cependant, le temps me presse aussi partirais-je dès que les vents le permettront.
- Oh, entends-tu donc déjà nous quitter ? La visite d'élu est si rare dans le Sud, ta présence est comme une récompense pour mes hommes qui défendent le pays de la mauvaise graine aux prix de bien des sacrifices.
Il lui se retourna et d'un geste ample, désigna le triangle dans son dos.
- Que dis-tu de notre tableau de chasse ? Chaque homme, chaque femme et chaque enfant affichés sur ce mur est comme une flèche empoisonnée dirigée sur ton cœur, une lame sous ta gorge. Beaucoup de mes fidèles sont morts pour débarrasser les Erfeydes de ces assassins.

La poitrine de Kataleyah se serra à ses mots. Avait-on réellement tué tous ces gens pour la préserver ? Combien devait mourir pour elle ? Pour ce qu'elle représentait ? Pour Lui ? Elle ne posa pas une nouvelle fois ses yeux sur le mur, incapable de supporter cette centaine d'yeux morts mais toujours expressifs qui semblaient lui hurler que tout était de sa faute, que sans elle, ils vivraient sans gêner personne, qu'elle leur devait au moins de les regarder tous un à un. Elle blêmit, la mâchoire crispée pour contenir la nausée qui remuait ses tripes. Son esprit grava dans sa mémoire le visage de Rishbörg. Elle s'auto-persuada de la présence de véritable criminels parmi le lot de têtes. Mais elle se mentait lâchement.
- - Leur mort me suffit, souffla-t-elle enfin d'une voix pitoyable qui tira un sourire au chef.
Qu'il aille se faire foutre, pensa Kataleyah. Il devait sûrement croire que c'était trop pour une femme, mais c'était trop pour tout homme sain. Un jour, il paierait son infamie, de sa main ou d'une autre, elle n'en doutait pas.
- Le Gardien sait récompenser ceux qui défendent son peuple, ajouta-t-elle en se reprenant.
- Bien, bien. Je ne met pas en doute ta parole un seul instant, oracle Teim-Cruan. Et je concède que nos méthodes sont loin des manières raffinées du Canyon, mais nous nous adaptons. Vois-tu, pas plus tard que ce matin, mes hommes ont mis la main sur un déserteur qui terrorisait un village du coin, près de la Muraille. Il enlevait les jeunes enfants et leur coupait une main. Puis, il offrait la liberté à ceux qui étaient capable de se couper la main restante.

Pas besoin d'en dire plus. Le visage de l'oracle ne masqua pas sa douleur. A traquer des monstres on devait sûrement finir par un devenir un.
Cette soirée fut une des plus longues vécues par Kataleyah. Elle ne ferma pas l’œil une minute, ne mangea rien et but seulement l'hydromel chaud qu'on lui servi une fois afin de ne pas froisser ses hôtes. Dans ces montagnes, les clans n'avaient pour juge que le Gardien lui même. Hors, Il ne s'épuisait pas pour régler de simples affaires internes. Un mot, un geste de travers et les Collectionneurs de Crânes n'auraient eu aucun scrupule à tuer un Oracle qu'ils jugeaient hérétique. Seulement, l'hérésie était vite atteinte avec eux.
Kataleyah dû user de tous ses talents de diplomate pour leur fausser compagnie. Elle accepta la viande séchée et l'alcool et permit qu'on l'escorte jusque dans la vallée. Dans l'ombre, trois d'entre eux allèrent plus loin.
Elle partit donc en direction du Nord et non de l'Est. En milieu de journée, elle s'était suffisamment éloignée pour s'assurer qu'ils ne la suivaient plus. A ce moment et seulement là, elle relâcha toute la tension de ses muscles. Les larmes affluèrent dans ses yeux et elle ne les retint pas. Le cœur au bord des lèvres, elle tomba à genoux sur le tapis neigeux. Elle extériorisa toute cette colère, cette tristesse, cette culpabilité qui la tenaillait. Elle savait tout ça, mais elle avait apprit à se fermer pour s'en protéger. C'était totalement lâche de sa part, et Rishbörg le savait. Il avait brisé cette coquille pour lui ouvrir les yeux. Il n'avait pas eu à lui crier dessus, lui dire « regarde la bassesse dans laquelle ta splendeur nous conduit ! Admire l’œuvre de tes sages paroles, vois et comprend ce qui fait que des hommes deviennent des monstres ! »
Les Erfeydes étaient un peuple dur qui grandissait dans un environnement hostile. On tuait pour un repas chaud. Les reclus du Sud subissaient plus que les autres les intempéries climatiques et les attaques sauvages de la faune. Sans oublier les travers humains. Devait-on pour autant excuser les actes de ceux qui se disaient protecteurs ? Fallait-il traiter tous les déserteurs de la même façon ? Non et non, malgré tout son mépris à leur égard, Kataleyah n'avalisait pas ces méthodes. Vidée, elle reprit sa route pour l'Est.
Dans la soirée, son corps la torturait tant elle avait faim. Elle se força donc à manger un peu de viande séchée. La tranche était salée, dure comme une semelle mais elle se conserverait longtemps. A peine mastiqua-t-elle un morceau que les sens du Gardien s'éveillèrent à la place des siens.
« Humain ! »
Elle cracha au loin la viande comme elle l'aurait fait d'un poison.
« … cette chair là est humaine. »


¤¤¤


Les cocons étaient gigantesques. Ballottant doucement aux bouts des branches sous-jacentes, ils palpitaient avec régularité, émettant un léger bourdonnement qui battait le rythme du chant vert. Le vent glissait contre les rideaux de petites feuilles aux teintes d'automne qui sonnaient alors comme des milliers de clochettes presque inaudibles pour des oreilles humaines. L'Arbre grandissait, ses bras bruns s'étiraient lentement au delà du chapeau de la forêt ajoutant à la musique du lieu une leitmotiv grave et timbrée. Le carillon de la rosée du matin enfermée par les pétales des espèces florissantes résonna lorsque l'un des cocons s'agita brusquement. Sa membrane aux rainures complexes se tendit à l'extrême, jusqu'à devenir aussi fine qu'une feuille de papier. Le cœur de Kataleyah s'accéléra. Le moment était-il venu ? Assisterait-elle à l'une de ces naissances si rares ? Elle cessa de respirer, les yeux rivaient sur l'énorme masse ocre qui la surplombait. Il se balança, déséquilibré par la vie qui s'agitait à l'intérieur. A droite, à gauche, à droite... Le cordon végétal grinça.
Et puis plus rien. La membrane reprit sa teinte boisée d'origine et son épaisseur protectrice. Les battements retrouvèrent leur régularité rythmique, mais avec plus d'intensité.
L'oracle rouvrit les yeux. Elle pouvait encore sentir les odeurs enivrantes de la forêt qu'elle avait visitée grâce au Gardien. Les plaines blanches qu'elle parcourait depuis plusieurs heures étaient voilées par un fantôme de couleurs vives, comme si on avait prit tous les pigments de l'Arbre et qu'ils tâchaient désormais un tableau vierge sans parvenir à retrouver leur place. Une vague esquisse d'un souvenir presque effacé. Le paysage erfeydien reprit ses droits sur la vision de l'oracle. Il l'abreuva de son inextinguible blancheur, de ses gris variés et de son horizon invisible. Rien n'avait changé, mais les montagnes à sa droite et les plateaux à sa gauche demeuraient aussi fascinants que sauvages. Le ciel était dégagé depuis la fin de la tempête, et de ce fait, il faisait plus froid, plus sec que lorsque les cumulus empêchaient à la faible chaleur de la terre de s'évaporer. Le souffle rapide de la jeune femme créait à chaque expiration un nuage de buée aussitôt dissipé par le vent venu de l’Est. Ce dernier soulevait du sol des vagues de lourds flocons de neige, retardant sa progression déjà bien lente.
Elle se hâtait, depuis le début. Plus encore depuis la veille et plus encore à chaque nouveau souvenir partagé. Elle ne voyait plus que le monde sous deux temps. Passé, présent. La distinction s’affaiblissait d’heure en heure alors que l’excitation de la découverte gonflait. Bientôt, elle atteindrait cette destination à l’origine floue désormais aussi précise que la silhouette grandissante de la Muraille. Enfin, elle pénétra dans son ombre.
Plongée dans cette obscurité propre à l'enceinte de glace, celle d'une zone où peu importait la position de l'astre rouge dans le ciel il y faisait toujours nuit, arbres et broussailles dépourvus de toutes verdures depuis des siècles et où même la faune sauvage désertait les environs, le brave qui s'y mouvait lentement se devait d'être vigilant aux crevasses cachées par les faux reliefs et autre trompe l’œil. A défaut de toutes conditions accueillantes, la zone d'ombre de la Muraille n'était pas sujette aux vents. Ainsi, l'oracle disparut en direction du haut mur se laissant guidé par les murmures lointains qui s'agitaient à son approche. Ses yeux ne voyaient plus nettement la couche de neige qui recouvrait le sol ni les arbres biscornus qui parsemaient le reste de son parcours. Aveugle de son monde, elle progressait sans risque grâce à la vision partagée de l'esprit millénaire. Était-ce bien Lui qui lui disait où aller ? Quel piège éviter ? Quel rocher contourner ? Elle avançait et plus la distance se réduisait, plus les murmures s'intensifiaient. Elle ne comprenait rien à leurs mots. Elle savait seulement que la trace n'était plus très loin.


¤¤¤


Installée sur un banc de pierre aux couleurs d'automne, Kataleyah contemplait la haute tour circulaire qui se dressait devant ses yeux émerveillés. Le marbre noir de la grande place absorbait les rayons du soleil et conservait de cette façon une douce chaleur. Les quelques promeneurs oisifs étaient tous pieds nus afin d'en profiter. Ils déambulaient entre les massifs de fleurs exotiques et bosquets d'arbustes habitées par de petits insectes volants multicolores. La brise chaude de cette fin de soirée lui apporta les arômes délicats des espèces florales si durement entretenues par les jardiniers de la cité. Elle savoura l'instant, se plaisant à imaginer une vie inaccessible mais là, perdue dans ces souvenirs, elle lui semblait à portée de main.
Derrière elle, le bruit de chute d'eau des fontaines sculptées était le seul témoin de la hauteur vertigineuse à laquelle elle s'élevait. A cette altitude, on s'attendait à manquer d'oxygène, à être malmené par le vent et à grelotter de froid. Il n'en était rien. C'était comme si la cité entière était protégée par une sphère invisible mais l'érosion qui grignotait à son allure les reliefs finement ouvrés de la tour démentait cette théorie. Le lieu n'avait rien de réel, son souvenir tâché par des siècles de cloisonnement dans une prison de glace.
Avant que l'image ne s'estompe, Kataleyah sentit sous ses doigts le tracé minutieux d'un étrange symbole gravé sur son banc. Elle baissa les yeux et le sol sous ses pieds éclata. Elle sombra au milieu de roche éclatée et débris, de bottes de terre et de plantes déracinées.
Sa chute soudaine semblait sans fin jusqu'à ce que les ténèbres du précipice laissent place à l'étendu vaste d'une plaine d'un gris verdoyant tacheté de brun. Du haut de la falaise, elle contemplait avec effroi et fascination la masse scintillante de la grande armée sans nom disparaître dans l'horizon du matin. La cape d'un roi coiffé d'un heaume d'écailles bleutées ciselé d'or claquait dans le vent aux côtés de Kataleyah. Derrière eux, une demi-douzaine de soldats à l'armure nocturne usée mais éclatante malgré les années d'usage marquées par les griffures sur l'acier portèrent à leurs lèvres dans un même geste les six becs en bois d'un unique cor d'ivoire plus gros qu'un aurion adulte. L'intérieur de la corne affichait une série de gravures complexes qui donna aux vibrations qui en jaillirent cette sonorité singulière. A la fois belle et glaçante. Le corps de l'erfeydienne frissonna devant sa puissance. Le son se répercuta en échos durant de longues minutes. Puis, comme un boomerang, il revint porté par le vent terrifier leur cœur de son intensité décuplée.
Au loin dans le ciel, une ombre poussée par le soleil levant vint à leur rencontre. Dans la vallée, le vacarme d'un million d'épées dégainées de leur fourreau annonça l'ouverture du bal. Du coin de l’œil, Kataleyah aperçu une nouvelle fois ce dessin familier brodé en fil d'or sur la cape sombre de son voisin lorsque celui-ci lui tourna le dos pour s'évaporer avec le reste de son armée.


Cette fois, l'oracle retrouva pleine emprise sur son corps. Ce qu'elle voyait, ce qu'elle ressentait, ce qu'elle entendait, tout était aussi vrai que la faim qui la tenaillait, le froid qui la faisait trembler, la fatigue lourde de son voyage sur ses jambes. L'esprit clair comme de l'eau de roche, elle s'attela à la seule chose qui occupait ses pensées.
Ses mains débarrassées de leur gant tâtèrent frénétiquement la surface gelée de la Muraille. Sa paroi si froide accrochait sa peau depuis longtemps devenu insensible au gel. Par moment, il lui fallait prendre appui sur quelque renforcement dans la glace pour gagner de la hauteur, déneiger de poudreuse certaine surface, gratter chaque lézarde, vérifier chaque relief dans un périmètre déterminé. Enfin, elle la trouva.
Ronde, lisse, parfaite. Une gravure épargnée par l'érosion mais masquée par le temps. L'estampage était si léger qu'à moins de savoir quelle forme il suivait, on se serait difficilement attardé dessus. Néanmoins, l'oracle avait maintes et maintes fois caressait les courbes de ce symbole dans ses songes. Les arabesques, les angles, les lignes fuyantes et les pointes émoussées. Elle procéda avec méthode et assurance, guidée par un savoir qu'elle préférait qualifier d'emprunté plutôt que volé. Le bout de ses doigts picotèrent, d'abord fébrilement, puis peu à peu les infimes pulsations rapides s'étendirent à sa main, son bras, son épaule jusqu'à son corps entier. L'euphorie s'empara d'elle. Le tracé d'ithylium s'éveilla brusquement et palpita d'une lumière turquoise. Il dessina sur toute la hauteur de la Muraille une sorte de frise aux motifs complexes coupait au deux tiers d'une bande horizontale d'environ huit bons mètres. Puis, aussi soudainement qu'il avait prit vie, il s'éteignit. L'erfeydienne recula de quelques pas et leva la tête à s'en briser la nuque à la recherche de la première brèche.
Un grondement sourd résonna dans la zone déserte quand la si impénétrable enceinte de glace et de fer se fendit. Plusieurs blocs supérieurs se détachèrent, fragilisés par les rares belles saisons du sud et leur composition hétérogène. Kataleyah dû s'écarter plus encore pour éviter de recevoir un obus de glace en pleine tête. Le sol sous ses pieds tremblait. La Muraille devant elle se fissurait avec colère. Mondé des plaques instables, le mur de six cent cinquante mètres d'épaisseur dévoila une zone creuse à sa base. Un tunnel ouvert sur le rivage. Son envergure laissait passer vingt hommes de front et une petite tourelle en hauteur...
Depuis quand ? Comment ? Qui ? Les questions fusaient dans l'esprit de l'oracle. Était-ce la peur ou l'excitation de sa découverte qui affolait tant son cœur ? Comment un secret comme celui-ci avait-il pu rester cacher à son peuple ? D'aussi loin que remontait la mémoire commune des Erfeydes, l'île était dénuée d'une muraille à leur arrivée. C'étaient eux qui l'avaient érigée. Aucune faille, aucune sortie. Tel était l'accord. Et pourtant, quelqu'un avait fabriqué ce passage vers l'extérieur.
Le vent s'y engouffrait de l'autre côté et amenait avec lui l'humidité salée de l'océan et le rugissement des vagues. Seul un point lumineux témoignait d'une issue certaine. Kataleyah ne résista pas à son appel. Dans l'obscurité complète, elle traversa le tunnel à pas prudents, le cœur battant. Entre voir l'océan sans fin du haut de la Muraille et le contemplait à même le rivage, la différence était presque tangible. Comme avant un saut dans le vide, elle progressait les yeux rivés sur la sortie. Surtout, ne pas regarder en bas.
Bien avant d'atteindre la côte, l'ouverture large du passage lui permit de voir le tant redouté océan. Ses vagues vertigineuses la glacèrent sur place. Elles étaient si proches, si hautes, si terrifiantes. Elles frappaient furieusement les rivages dans un fracas assourdissant. Ses rouleaux mousseux balayaient tout ce qui se trouvait sur leur passage pour les digérer dans les profondeurs de l'océan. Le son résonnait dans le tunnel tout en s'amplifiant. Elle avait la désagréable sensation de se trouver dans la gueule rugissante d'un monstre légendaire à l'haleine glaciale et portée de sel. Mais, malgré l'effroi de constater son impuissance face à telle force, ses yeux s'embuèrent d'admiration devant ce spectacle.

Elle ne sut combien de temps elle resta ainsi, à l'abri sous le tunnel pour contempler la route de son prochain voyage. Du dernier, espérait elle non sans une pointe de mélancolie. Ce fut une ombre dans le ciel qui la tira de sa rêverie. Elle avançait dans sa direction, trop rapidement pour un nuage. Une nuée d'oiseaux ? Il n'y avait pas d'espèce, à sa connaissance, qui s'éloignait autant des terres. Plus ça se rapprochait, plus un mauvais pressentiment s'emparait de Kayah. Sournoisement, à la façon d'un poison, la réponse s'insinua dans ses veines.

Les étrangers !

Le peuple de Skye revenait dans ses grands oiseaux de fer et ils étaient nombreux.
Pourquoi ici ? Pourquoi au sud ? Pourquoi maintenant, à ce moment précis ? Pourquoi, par le Gardien, fallait-il qu'ils débarquent  à cet endroit là ?! Qu'est-ce qu'elle avait fait ? Son ouverture était visible à des kilomètres sur la blancheur du décor. Une invitation à l'invasion. Elle ne pouvait croire à un hasard, c'était si stupide ! Manquait-elle de chance à ce point ? Quelqu'un avait dû les prévenir. Oui, un traître, qui l'avait suivi, qui avait eu vent de son voyage vers Kuldahar. Il avait dû trouver un moyen de transmettre l'information aux étrangers basés au nord. Non, impossible, personne ne comprenait leur langue à part le Gardien. Skye ? S'était-elle échappée de la surveillance de Chilali ? Avait-elle prit contact avec les siens, d'une manière ou d'une autre ? Un rhywyn peut être. Non. C'était ridicule, personne ne savait ce qu'elle cherchait en se rendant dans ces régions, pas même elle. Elle avait seulement suivit son instinct. Quelque chose l'avait attirée jusque là, comme un aimant. Et si Elijah avait bel et bien rejoins les déserteurs ? S'il avait établi un contact avec les étrangers ? Lui ou un autre déserteur. Ils avaient déjà trahi leur peuple une fois et renié leur protecteur après tout.
Non, n'importe quoi. Elle avait confiance.

Elle s'enfuit en courant dans les profondeurs du tunnel. Vite. Il lui restait encore un peu de temps avant que leurs engins n'accostent. Elle espérait qu'ils ne volent pas assez haut pour franchir la Muraille et maintenant qu'elle leur avait offert la brèche qu'ils cherchaient tant, elle n'escomptait pas leur facilité le travail en laissant la porte ouverte. Dans sa course, elle trébucha plusieurs fois et crut que jamais elle n'atteindrait l'autre côté. Le souffle court, elle y parvint enfin et se jeta désespérément contre la gravure en priant pour qu'elle s'active à nouveau. Elle tendit son esprit vers l'ithylium emprisonné contenu dans le tracé. Au bout de quelques secondes, le processus inverse s'effectua.
Le tunnel se referma.

Aussitôt les portes scellées, la fautive prit la fuite.

Elle ne se souvint plus clairement des conditions de son retour. Son corps, lui, était là pour le lui rappeler. La course effrénée dans laquelle elle s'était lancée surpassait la raison et repoussait les limites physiques. Elle avait d'abord dû retrouver la lumière des plaines en évitant les embûches à l'ombre de la Muraille. Contrairement à l'aller, elle manqua se briser les os à plusieurs reprises, le pied peu sur et la peur aveuglante. Elle avait courut sans se retourner mais guettait le moindre vrombissement inconnu. Puis elle avait atteint le bas flanc des montagnes d'Adiem. Durant quelques minutes, elle ne sut où se rendre. Les Cimes ? La première tour de garde ? L'antre des clans du sud ? La cité effondrée de Kuldahar ? Le nord ? L'ouest ? Où aller ? Chez qui se réfugiait ? Où cherchait conseil ? Où sonnait l'alerte ? Où se repentir ?

- Répond moi ! Qu'est-ce que je dois faire ? hurla-t-elle en désespoir de cause à un protecteur absent. Guide moi !!

Le silence qu'elle convoitait tant lui faisait désormais peur. Le Gardien lui parut lointain, intouchable, retranché. Son cœur rata un battement à l'idée qu'il l'avait abandonnée. Perdre le maluïne la condamnerait à l'exil. La désertion. Elle s'accroupit pour reprendre sa respiration et retrouver un semblant de calme. Non, elle ne sombrerait pas si bas. La grave erreur qu'elle venait de commettre ne resterait pas ainsi, elle ferait tout pour la réparer. Ce maudit bateau... Quelle folie l'avait poussé dans telle entreprise ?!

Un cri dans les hauteurs l'alerta. Des déserteurs ou des factionnaires ? Peu importait, en ce moment même, elle devait échapper aux deux. Elle se redressa et reprit sa fuite. Pour aller où ? Elle ne l'avait toujours pas décidé. Très vite, les pas lourds la talonnèrent, piétinant la neige crissante dans un tapage  d'épées et d'armures.
Au détour d'une montagne, elle sauta par dessus un tronc couché mais vit trop tard le piège qu'il masquait. Assez large pour un obèse, de la longueur de l'arbre mort et plus profonde qu'un puits d'eau. La silhouette de l'oracle disparut de la surface du sol dans l'excavation. Dans sa chute, elle eut le réflexe de s'agripper à tout ce qui dépassait de la façade terreuse. Elle s’écorcha les mains avant de se saisir avec force d'une racine suffisamment épaisse pour soutenir son poids. Entraînée par la vitesse, le choc n'en fut pas moins violent lorsque sa main s'emmêla dans l'enchevêtrement de racine et lui brisa deux doigts. Ses dents mordirent littéralement son épaule pour étouffer son cri. Trois hommes passèrent non loin de son prison sans la remarquaient. Leurs bottes lourdes provoquèrent une pluie de neige et de terre. Elle ferma les yeux.
La douleur qui lancinait sa main droite l'empêcha de sombrer dans le sommeil, autant que la peur qui tenaillait encore ses tripes à la pensée de ce qu'elle avait fait. Elle n'avait pas le droit de s'attarder plus longtemps ici.
En levant la tête, elle évalua la distance à moins d'un mètre. Autour d'elle, il y avait d'autres racines qui pointaient leurs doigts crochus vers le ciel mais aussi des pierres qui pourraient lui servir d’appui. Elle serra la mâchoire et fit un balancier de son corps jusqu'à atteindre une première prise pour son pied droit. De là, elle s'empressa de coincer son pied gauche sur un reste de bulbe et entreprit de dénouer les racines de sa main blessée. Le majeur et l'annulaire formaient un angle à soixante degrés au niveau de la phalange supérieure. Ils étaient inutilisables pour l'escalade, mais l'adrénaline de la situation lui permit, en quelques passes agiles où elle n'usa de la force de son pouce et son index que le temps d'une seconde, de s'extirper de l'étroite crevasse. Aussitôt, elle ensevelit ses doigts cassés sous la neige. Où qu'elle aille, elle aurait de la route à faire. Elle ne pouvait attendre d'atteindre un lieu sûr pour redresser les phalanges.
- Merde, jura-t-elle entre ses dents crispées. Merde et merde...
Prise d'un brusque courage, elle serra ses deux doigts et remit le tout en place avec un craquement suivit d'une douleur qui lui arracha un nouveau cri étouffé. Son front perlait d'une sueur froide qui alla s'écouler sur son visage blême. Adossée contre le tronc qui l'avait trahit, elle tâcha de retrouver ses repères, de réguler sa respiration haletante. Chasser la douleur. Elle n'eut pas de mal à s'en débarrasser dès lors qu'elle songea aux étrangers qui seraient bientôt accueillis à coup de signal d'alerte par les factionnaires du guet. Les plus grands villages étaient pourvus des mêmes cors que les tours de garde pour relayer plus rapidement l'alarme dans les terres. Près d'Adiem, il n'y avait qu'un village digne de cette fonction. Pleyrion ! Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ?
C'était le lieu qui l'avait vu naître. Le lieu qui avait été réduit en cendres. Mais un nouveau chef l'avait reconstruit et avec ingéniosité. Pleyrion offrait une protection unique dans les Erefeydes, en particulier pour une région comme celle-ci. Kataleyah était bien retournée voir son frère plus d'une fois depuis leur séparation, mais au fil des années ses visites s'étaient espacées jusqu'à creuser un écart si profond qu'elle avait sûrement coupé les ponts à ses yeux. Il ne devait plus espérer la revoir, cette sœur qu'il avait protégé tant d'années et qui désormais le protéger lui par son devoir d'Oracle. Pourtant, une intime conviction lui souffla qu'elle trouverait toujours un foyer pour l'accueillir là bas. Même après six ans d'absence.

Non sans vaciller une dernière fois, elle se remit debout et inspira une grande bouffée d'air glacial pour se donner du courage.
Un regard en arrière. De loin, on distinguait très clairement le pan de glace qui s'était détaché de la Muraille lors de l'ouverture du tunnel. La sous-couche était plus blanche que le reste, plus lisse et plus satinée. Néanmoins, il était fréquent que des affaissements de cette sorte aient lieu, quoique de moindre envergure. La Muraille avertissait les erfeydiens, mais seule l'oracle pouvait entendre sa plainte. Les traits tirés par le remord, elle tourna la tête et reprit sa course en direction de Pleyrion.
Son esprit était trop chambardé pour songer aux besoins physiques. La peur était de ces émotions qui vous donnaient des ailes, peu importe la douleur ou la fatigue. Et à cet instant, elle avait terriblement peur. A cause de ces étrangers, de ce qu'elle avait découvert, de ce qu'elle avait fait de cette découverte, peur de ses retrouvailles avec son frère, des questions qu'on lui poserait, des raisons qui l'avait menée jusque là, des sentiments qui la détournaient de son devoir, peur de ses convictions mises en branle ces derniers jours. Et plus que tout, elle avait peur du silence pesant de l'esprit millénaire.
Elle craignait tant son abandon qu'elle ne doutait pas une seconde qu'il puisse simplement "sommeiller", vidé par l'énergie déployée pour ranimer l'ithylium cristallisé du tracé.
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