Khéops Aanka'Leï

L’amour est un rêve pour deux

Ils dansaient tous les deux à la lumière chaleureuse des bougies. Khéops faisait virevolter sa femme en luttant contre le désir de la faire sienne. Tout avait disparu, les autres danseurs, la musique, et même la voix de sa raison qui lui rappelait qu’il avait pour devoir de se présenter aux autres familles de Cultivateurs. Tout, sauf son envie formidable d’entraîner Amina dans son lit. Il la désirait. Pire encore, il avait irrémédiablement besoin d’elle. Un besoin insatiable de se réfugier entre ses bras. Son désespoir aiguisait tellement son désir qu’il pourrait bien envoyer paître le protocole, et fuir avec elle. Tandis que la musique s’achevait, il la serra contre lui et se dit que danser une fois encore ne serait pas un si grand affront.

- C’est lâche de votre part, Khéops, décocha Aminä avec un regard brillant de malice.
- Quoi donc ? interrogea le jeune homme, faussement surpris.
- Vous savez très bien de quoi je parle. Laissez-moi me reposer un peu, et allez saluer Monsieur Desnolancès, il pourrait s’offusquer de votre impolitesse.

Khéops regarda son charmant visage et la façon dont ses yeux dorés attiraient la lumière. Il passa sa main sur sa taille, puis écarta les doigts sur l’arrondi de son ventre. Aminä retint son souffle et s’empara de ses mains, arrêtant son geste. Il sentait une multitude de choses : la chaleur de son désir, son impatience devant le comportement immature de son mari et enfin, une infime palpitation, qui ne dura qu’un instant... comme les ailes d'un Elvion effleurant ses doigts.  Sans laisser le temps à Aminä d’émettre la moindre protestation, il embrassa son ventre, malgré les regards posés sur eux. Plus que quelques jours, et il serait enfin père.

La vie est une tragédie, prends-là à bras le corps

Khéops n’avait pas vu son fils depuis plus d’une année. Dès le lendemain de la mort de sa femme, le jeune homme l’avait confié à sa petite sœur, Hessaë, pour se concentrer exclusivement sur sa carrière chez les Veilleurs Pourpres.  Hessaë n’avait de cesse de lui dire qu’il devrait accorder un peu plus de son temps à son enfant, surtout depuis qu’elle avait appris qu’elle était elle-même enceinte. Elle insistait sur le fait qu’il avait encore la vie devant lui, qu’à vingt et un ans, il pouvait se remarier, fonder une famille et offrir ainsi à Ashër tout ce dont il avait besoin pour être heureux : une famille unie. Mais à chaque fois qu’il le retrouvait, à chaque fois qu’il croisait son regard doré, c’est à peine s’il lui parlait ou le prenait dans ses bras. Dans la journée, il repartait pour le Désert des Murmures, promettant à sa sœur de faire des efforts la prochaine fois.

Six longues années s’écoulèrent ainsi, sans que rien n’évolue. Tandis que l’un gravissait les échelons à une vitesse étonnante, l’autre grandissait sans père, et commençait tout jute à atteindre l’âge où l’on se pose les premières questions sensées. A ses neuf-ans, quand il interrogea pour la toute première fois son grand-père Esmeôr, l’homme prit une importante décision : il était temps pour son fils de se reconstruire et de passer à autre chose, et ce que gré ou de force. Il partit donc à la recherche d’une nouvelle épouse pour lui, une perle capable de lui redonner le sourire qu’il avait perdu, l’envie d’élever son enfant, et enfin, mieux encore, celle qui saura lui faire oublier le terrible accident dont avait été victime Amina. Plusieurs jeunes filles attirèrent son attention : il y avait tout d’abord la jeune Lalah Desnolancès, puis enfin sa cousine, Solaris, elle aussi réputée pour sa très grande beauté. Le choix fut rapide : si entamer un contrat avec l’héritière était risqué pour le fils d’une branche secondaire, en conclure un pour une autre des filles Desnolancès n’avait rien d’impossible.

Le découragement est la mort morale

Voilà quelques mois, Khéops fut nommé Capitaine, après avoir longtemps stagné au grade de Lieutenant, malgré maints efforts. Il n’était pas dupe : son écart dans les ruelles d’Arish était probablement la raison qu’avaient ses supérieurs de le garder un peu plus longtemps comme Lieutenant. Après avoir rattrapé un orphelin ayant volé tout au plus quelques fruits, l’Officier s’était permis, sans pitié aucune, de sectionner sa main gauche sous les yeux médusés des badauds. De quoi horrifier ses compagnons, et s’attirer les foudres de la totalité des témoins de cet acte barbare. Aux yeux du Veilleur, son geste était un exemple, qui aurait dû être donné depuis bien longtemps. Mais l’enfant, lui, ne voyait pas les choses de la même manière.

Suite à cet incident, Khéops s’était engagé à se faire tout petit, se démenant dans les opérations de déminage pour être mieux vu, et ainsi retrouver la belle réputation qui avait été la sienne. Les bombes artisanales posées par les Forbans étaient des occasions en or comme il s’en présentait tous les jours, mais qui effrayaient la majorité des démineurs. Si certains préféraient les faire exploser de loin, Khéops et deux de ses compagnons rêvaient de pouvoir analyser l’une d’entre elles, pour comprendre leur mécanisme. Les risques étaient grands, mais il suffisait de connaître son métier et de faire preuve d’une extrême prudence. Il avait confiance en ses hommes et croyaient en leurs capacités plus qu’en celles de quiconque. C’est donc avec l’accord de ses supérieurs que Khéops, accompagné de quelques soldats, affrontèrent la rudesse du désert Korrulien, et ses multiples dangers.

Mais la mission prit un tournant dramatique. L’un des démineurs dans un geste maladroit, actionna la bombe qui explosa dans l’instant. Le jeune Veilleur fut tué sur le coup. Khéops lui, veillant à proximité, fut sévèrement brûlé dans le dos, ainsi qu’au bras gauche, mais bien moins gravement que son autre assistant. Ramené de toute urgence au QG, leur état alarmant inquiéta même les médecins expérimentés, et ce jusqu’à ce qu’ils se remettent progressivement, à force de soins et de repos. Le temps d’être complètement rétabli, l’Officier Aanka’Leï fut autorisé à retourner chez lui, peu avant les débuts de la mission sur l’Ile Blanche.

Le lendemain de son retour au Domaine, il apprit ses fiançailles arrangées avec l'une des Desnolancès. D’abord fou de colère, l'avis de Khéops sur la question changea du tout au tout lorsqu’on lui vanta l’extrême beauté la jeune fille qui allait devenir sa femme.