Histoire

   L'odeur de Khanjiev est aujourd'hui encore, une réminiscence âpre et suffocante.
De cette tribu, nichée dans les reins de la cruelle Muertiga, il ne restait rien. Rien si ce ne fut d'éphémères stigmates. Des cendres que les vents auraient si tôt fait de balayer, des scories que les tempêtes de sables nipperaient de dunes avec dédain, mais surtout … Cette infâme puanteur. Ce remugle acre de composants brûlés, de sang et de mort. Non pas le répugnant relent de la putrescence, plutôt une fragrance insidieuse qui pouvait aisément se passer d'étalages macabres tant sa suggestion était efficace. Pour les cinq veilleurs postés en amont de ce charnier, captifs de l'imaginaire, ces résidus couleur ardoise avaient une histoire, une chronique qui en dépit des interprétations ne connaissait qu'une seule fin : le massacre d'un convoi.
Aucun crime n'est parfait, la preuve de cette allégation, ce fut "elle", cette masse informe qui bosselait la nappe grisâtre. "Elle", la petite bâtarde efflanquée ,qui, allongée sur un lit de poussières tourbillonnantes, semblait dormir paisiblement. Elle n'était pas morte, juste accablée par le chagrin ... Juste bridée par une pléthore d'émotions oppressantes. Le seul à se diriger vers elle, fut le colosse vigilant, un sauveur aussi auguste qu'inquiétant.
Elle ne bougea cependant pas, plus rien ne pouvait l'effrayer désormais.
Elle se laissa porter par le courant pourpre, ballottée par son onde calme, elle se surprit même à apprécier l'écrin des bras qui la portaient.


- " Apprends moi "

Pour une frêle créature, la petite illégitime avait de l'estomac. Son ton bien qu'impératif, ne sembla pas à même de rendre la bête plus docile. L'animal en question, c'était le mastodonte hirsute qui entretenait le foyer du bivouac. La gamine ne se démonta pas pour autant, elle se leva pour approcher le veilleur d'un pas décidé.

- " Je veux apprendre !" Répéta-t-elle

Sa véhémence lui permit seulement d'accéder au regard de Rorsharn, une attention des plus brunes. Les sourcils froncés, le Korrulien renifla avec dédain avant de hocher négativement la tête. Les lueurs dansantes des flammes altéraient le visage menaçant de ce robuste soldat, accentuant des atours déjà bien bestiaux. C'est donc la haine dans le cœur et la mort dans l'âme, que la petite bâtarde grise se rua sur lui, son petit visage potelé s'écrasa dans la large paume de la brute. Elle venait de se fracasser contre un roc, comme une vague sur le fronton escarpé d'une falaise ... Inébranlable, altérable par la seule usure du temps. La courte sur pattes tenta bien de brasser l'air, mais elle le fit avec la grâce d'un manchot.

Alors qu'il tenait ce fragile crâne à bout de bras, le butor murmura :

- " Ecoute bâtarde, ton seul apprentissage se fera loin d'ici, sur des terres affranchies. Avec le temps tu accepteras ce qu'il s'est passé, tu auras au moins la fortune de survivre ... "

- " Non ! " Beugla la demi-portion. " Je ne veux pas survivre, je veux vivre, vivre sur leurs cadavres. Ce que tu me refuse, je l'aurais avec ou sans ton aide. "

Cette détermination ... Rorsharn l'avait connue jadis, lui, le chien de guerre. Jamais il n'avait été considéré, seulement estimé et éprouvé.
Jamais il n'avait souffert, pas jusqu'à ce que s'insinue dans ses narines, l'odeur de Khanjiev. Pouvait-il juger cette petite gale ? Lui aussi avait envisagé de suivre les empreintes menant à la plus punitives des expéditions, mais nombre de frères marchaient dans ses pas. Songeur, il lorgna les quatre troupiers amassés autour d'un autre creuset à quelques pas de là, eux, qui en avaient vu d'autres. Il revint à la juvénile chasseresse, celle qu'il avait prise pour une vulnérable petite chose révélait quelque chose de terrible sous les clartés tremblantes : Le visage le plus monstrueux des méandres humains. Ses petits yeux éteints quelques heures plus tôt, brillaient désormais de fureur et tout ce qui avait pu subsister d'innocence semblait avoir été consumé par les pillards.
Dans un grognement, le Géant pourpre se redressa, couvrant moult dunes du plus noir des spectres ... Cette ombre imposante, fit vaciller l'insignifiante vengeresse. Il lui tendit sa main, sa menotte massive et caleuse.  

" Tu as fait un choix. Tu l'assumeras jusqu'au bout gamine ... "

Mais avec cette audace immuable, la grêle pogne de la cadette se nicha dans cet écrin robuste. La nuit n'apporta ni conseils, ni repos ... Seulement son lot de souffrances et de terreur. Le cycle Korrulien est inflexible, cruel, cette aube là marqua la nouvelle génèse d'une existence et la chute de six autres. Le zénith caressa la peau lavée à l'eau claire d'une nouvelle bleue, à l'instant où les charognards invoqués par le plus rouge des appels, venaient nettoyer les dunes passées au pourpre.