Histoire

Sa chevelure sombre jurait avec la beauté de la neige immaculée; et dans ses yeux, une étincelle fougueuse, inhabituelle, sauvage. Une gamine audacieuse au sourire juvénile, emmitouflée de fourrures de façon à être presque entièrement ensevelie sous elles.
Solveig Korkersön regarde sa fille et éprouve un inexplicable sentiment de perte.


Il se faufile parmi les quelques ombres des étendues blanches, entre dans le village, furtivement, vole une dague négligemment laissée sur un comptoir, un morceau de pain posé sur un étal désert. Il n'est pas traqué mais agit comme tel, car il sait que les Erfeydiens ne savent que trop bien repérer les gens comme lui: les hérétiques, les insoumis, les déserteurs. Tout à coup, il se sent observé, se retourne, telle une proie qui fait face à son chasseur; se retrouve face aux yeux limpides d'une gamine, dont l'éclat farouche le laisse quelques courts instants surpris. Il se relaxe.

▬ Tu sais garder un secret, gamine ?

Elle tique. Son ton légèrement narquois l'irrite: tout comme ce qualificatif de gamine ; elle n'est pas encore adulte mais n'est pas non plus enfant, et déteste être considérée comme telle. Alors elle utilise son meilleur atout: une phrase de son père qu'elle n'a que trop entendue; son père qui voit le monde en noir et blanc, son père fort et puissant, son père au regard tendre pour elle seulement, son père qu'elle admire mais ne comprend pas toujours.

▬ Vous autres déserteurs êtes une honte pour la patrie.

Une étincelle de fierté dans son regard lorsqu'elle reprend ses mots; il ne répond rien, semble songeur, elle le prend comme une invitation à continuer.

▬ Je viens d'une famille de guerriers. Un jour aussi, j'en serais une.

Un avenir tout tracé: brave, douée au combat, elle sera une guerrière de talent. Néanmoins, ses mots sonnent creux, vides de conviction ou de mécontentement; elle n'a jamais été attirée par cette vie. Au sein de son village, on se tourne vers les guerriers les plus valeureux pour de nombreux services; souvent incluent-ils des combats ardus, demandant force et maîtrise des armes.
Il lui offre un sourire à la fois dur, railleur et étrangement plein de pitié qui la laisse coite.

▬ Dans ce cas, je te souhaite bonne chance. Mais je préfère te prévenir, jamais tu ne découvriras la liberté, la vraie, si douce qu'elle sera meilleure que le plus délectable des repas, plus euphorisante que n'importe quelle victoire, quel exploit. Ça, c'est un privilège qui nous est strictement réservé, et que tu choisis de ne jamais connaître. Sur ces mots, je te laisse. Adieu.

Ses paroles résonnent dans tout son corps, et, étourdie, elle continue de contempler l'endroit où il s'est tenu bien après que la neige ait recouvert ses traces.


Ses mots sont comme gravés dans sa mémoire; pas un jour sans qu'elle ne les remémore, ils l'obsèdent. Chaque jour, elle contemple l'horizon, se demandant ce qu'il y a au delà du village. Celui-ci l'étouffe maintenant, avec ses visages trop familiers, qui ne la comprennent pas. Il a suffi d'une brève rencontre avec l'un d'entre eux pour que le voile soit levé sur une partie d'elle même qui ne lui avait encore jamais été révélée. Un feu l'habite, à moins que ce ne soit une soif insatiable qu'elle ne sait comment étancher.
Pour éviter de penser, elle se concentre sur les combats à venir, s'entraîne tous les jours. L'adrénaline l'occupe, la vue du sang l'excite. Elle déteste les autres gens de son âge, avec leurs envies de gloire méprisables à ses yeux, et abohrre les ordres qu'on lui donne, ou plutôt le fait qu'on lui en donne.
Elle veut être maîtresse d'elle même, apaiser cette rage qui l'habite. Mais à quel prix ?


Ça y est, elle a fait son choix.
Son père tempête, vocifère des insultes à son encontre; elle a honte de le décevoir. Elle ne ressent qu'un calme inquiétant pendant qu'elle rassemble ses maigres possessions. Sa mère pose sur elle un regard résigné, elle avait deviné ces évènements bien avant qu'ils ne se produisent: elle possède un esprit fin et perspicace, un don dans un monde de barbares. Elle pose sa main sur l'avant-bras de sa fille.

▬ Va. Tu as trois jours pour partir le plus loin d'ici. Ensuite, nous informerons le village de ton départ. Nul doute que beaucoup souhaiterons partir à ta recherche...

Enfin une bénédiction; celle-ci apaise Mijkä, la conforte sans son choix; elle part sous le regard haineux de son père. Néanmoins, elle ne peut s'empêcher de sourire vers l'horizon qui lui tend les bras.
Enfin libre.


Ce n'est qu'après plusieurs années de solitude savourée qu'ils la contactent: sourires bienveillants, et une multitude d'idées révolutionnaires. Malgré son scepticisme, elle va voir ce qu'il en est. Son instinct lui crie de s'enfuir, sans quoi on lui volera sa liberté une nouvelle fois, et elle se retrouvera étouffée, emprisonnée.
Pour une fois, elle ne l'écoute pas.