Nimue la Blanche

Le clan Munro était constitué plutôt par des vieillards (quelques invalides, même) que par des guerriers en état de combattre. Mais ces derniers avaient, au moins, la distinction d'être quelques uns des plus féroces Efreydiens. Pas particulièrement  nombreux, le clan endurait simplement, entre deux migrations par an (entre Fendrevent -Monts ensorcelés- et Landeyris -Chaîne d'Igravel). Sa population persistait toutefois, on ne savait pas trop comment. Les alliances qu'ils s'étaient faites étaient à l'origine de cette ancienneté, sans doute.

C'est au sein de ce groupe que naquit notre damoiselle.

Nimue avait, depuis toute petite, attiré l'attention des plus âgés. Fille d'un forgeron et d'une émissaire, on aurait pu s'attendre à tout type de descendance. De part son physique un peu frêle et maigrichon, la petite enfant se montrait toujours extrêmement calme et sérieuse sous ses traits d'ange. Lorsque les autres enfants cherchaient à jouer aux bagarres ou à courir en expédition dans les bois, c'était Nimue qu'on retrouvait assise auprès de sa mère, faisant preuve de la plus sordide et méticuleuse attention. Elle apprit très tôt toutes les coutumes de son peuple, d'une envie avide de savoir toujours présente.  Depuis qu'elle apprit à parler, elle présentait aussi son adoration  la plus totale au Gardien. Bien que ce fut une croyance acquise comme une sûreté, cette forte dévotion avait toujours intrigué un peu les savants. À six hivers elle avait apprit à écrire; un privilège que sa mère lui hérita avec fierté. Il faut dire que ce n'était pas une priorité chez les erfeydiens, ni le plus commun, mais le penchant de Nimue n'avait jamais suivi de normes. Trop émaciée pour pouvoir manier des armes, elle s'était donc dévouée aux arts du savoir. Le Gardien était donc un être qui lui inspirait une adoration sincère, et même si elle lui devait tout son respect, elle trouvait en lui un refuge, un ami, bien qu'elle n'oserai jamais le prononcer ainsi. C'est pour cette raison qu'à ses 11 ans elle rejoignit les apprentis émissaires et intégra officiellement une antre.

La petite vie tranquille qu'elle s'était préparée fut pourtant ébranlée, un certain jour. Nimue était consciente que le propre clan Munro avait été, à l'origine, un clan de déserteurs. Mais les étrangers que le Hänek avait recueillis n'étaient pas de bonne augure. Elle le découvrit de la pire façon.

***
Les fines mains de la Blanche se crispèrent un peu sur la fourrure qui lui couvrait les épaules. La chaumière où elle prenait congé en cette semaine de fêtes se tenait bien chaude en comparaison de la givré en-dehors. Le lendemain, elle allait présider les noces du plus jeune couple des Munro. L'hiver promettait d'être rigoureux; comme tant d'années auparavant, Nimue en était pourtant habituée. Son lien avec le feu ne manquait jamais de lui procurer la chaleur dont elle nécessitait. À l'intérieur de sa petite cabane, elle aurait pu se tenir nue sans avoir à frissoner; le pouvoir de l'ithylium était ainsi puissant.

Ce soir-là, dans la brume glacée, elle pu distinguer le feu commun qu'on avait encore allumé. Un repas avait été organisé, après tant d'autres, afin d'accueillir les quelques individus qu'on avait laissé intégrer le clan. Ils étaient quatre et avaient sauvé l'enfant prodige du clan, perdu dans la neige depuis presque une semaine. On disait qu'il pourrait un jour devenir Oracle, car son lien avec le vent était quelque chose de très rare. Tous étaient des hommes, plus corpulents les uns que les autres. Les cicatrices qu'elle avait repérée sur leur visages témoignaient de leur capacité à survivre, au-delà des Cimes Hérissées. C'était la nature des erfeydiens et elle l'acceptait sans véhémence. Nimue se demandait s'ils auraient pu tous les tuer, si ils en auraient eu envie. Quelle sottise. Le Gardien ne pourrait le permettre: les Émissaires l'auraient deviné en temps et en heure. Si les déserteurs avaient été acceptés, qui était-elle pour les contredire? Puis ils avaient sauvé le petit Drasske, "l'enfant du vent". Il serait fâcheux de ne pas leur être reconnaissant. Puis la jeune femme était consciente que le clan avait constamment besoin de nouveau sang. C'était ainsi que le flux de la nature leur permettait, après tout, de subsister. On  se devait de le respecter et même, d'en remercier le Gardien.

Elle, pourtant, ne trouvait pas sa place au repas. Elle avait mangé quelque peu avant de rentrer, de toute façon. L'hydromel allait sûrement passer de main en main et elle préférait se livrer à sa prière du soir avant que le soleil fut sous l'horizon. Autant passer son temps à être productive...

Ce n'était pas tout à fait les plans de l'aîné des nouveaux-arrivants. Jeune et belle, la Blanche Nimue n'avait pas manqué d'attirer les attentions de son comparse erfeydien. Elle avait vu dans ses yeux cette lueur qui lui avait fait baisser les yeux, il n'y a même pas deux jours. Bien qu'il fut tout à fait présentable et poli, elle ne pouvait comprendre pourquoi il venait de rentrer dans son petit logis sans autorisation.

Les yeux dorés de l'apprentie émissaire s'ouvrirent un peu plus de surprise.

"Nimue, quelle joie de te voir levée. Je croyais que tu allais manquer la fête." Sa voix se voulait galante et Nimue avait comprit qu'il ne lâcherait pas de sitôt. Elle ne put s'empêcher de sourire, lissant un peu ses cheveux avec ses doigts nerveux.
"J'allais justement... me dédier à mes leçons. Je ne devrais pas priver la place à ceux qui tremblotent de froid." Sous-entendu, son lien avec le feu était connu et elle était tout à fait à l'aise dans sa petite hutte réchauffée. La petite fiole à sa ceinture luisait agréablement.

Le regard de l'homme était d'un bleu glacial  et pourtant il n'avait pas de froid aux yeux. De longs regards traînait-il sur le corps de Nimue. Sans vergogne, il avançait d'ailleurs vers elle.

"Mon lien est le feu aussi, je te tiendrai compagnie..." Ce fut à cet instant que Nimue fut un peu prise de peur et recula. Elle ne voulait pas être impolie mais il était énorme auprès d'elle et...

Ce qui suivit, elle ne l'aurait jamais souhaité à personne. Plus blanche que le blanc, elle tenta de se débattre hors de sa portée. Mais les muscles du déserteur n'étaient même pas en effort alors qu'il l'avait déjà saisie et plaquée contre le mur épais de la chaumière.

Personne n'avait entendu ses appels, les quelques cris qu'elle avait pu entonner avant qu'il ne lui écrase sa main par-dessus sa bouche.

***
Sa virginité et son corps souillés, sans avoir même pu choisir à qui l'offrir; ce fut à cette occasion qu'elle reçu aussi une cicatrice le long de son sein; puis une, légère, aux lèvres.

Complètement effrayée, Nimue ne pouvait se décider de dénoncer son profanateur. Que diraient les autres, de toute façon? Cet homme était puissant et il était nécessité au clan. Les chasseurs vieillissaient, de même pour les guerriers. Il avait trouvé la place que Nimue venait de perdre.

Et le choix lui vînt assez facilement. Prendre la fuite fut plus facile que de survivre. Sans aucune expérience concrète de chasse, elle cru qu'elle aurait périt dans les monts de glace qu'elle méconnaissait. Mais le Gardien avait d'autres plans pour elle...  Après plusieurs mois à déambuler parmi les terres, à la recherche de l'ancienne antre de sa mère, elle finit par être accueillie comme émissaire chez la faction Les bois de Koun. Elle parvint à trouver l'antre en question et est depuis au service du Gardien, dans les alentours de Pleyrion.

Tout est très récent encore mais elle se dit tout les jours qu'un erfeydien sait tout endurer, alors pourquoi pas elle? Tout est assez étrange sans sa famille. Que seront-ils devenus?


(Précisions extra: le clan d'origine de Nimue s'est dissolu après qu'elle parte: les déserteurs ont finalement choisi de prendre les rênes et de tuer tout les hommes pour garder les femmes. Techniquement, le viol l'a "sauvée" - en quelque sorte. Elle ne le sait pas encore.)