Histoire
Le sifflement du vent dans les oreilles, sa caresse sur la peau nue. Plus haut, plus près du soleil. Le cuir qui s'enflamme. La rechute vers la terre, suivit d'un plongeon dans l'eau fraiche et salée. Puis une après-midi à se prélasser à l'orée du bois...

Kataleyah tendit son esprit vers le monde réel, le sien. La morsure glaciale de la neige attaqua ses sens aussitôt, à laquelle s'ajouta une douleur aiguë dans l'épaule, suivit des aigreurs de son estomac. Elle replongea aussitôt dans sa transe et s'accrocha à des souvenirs qui n'étaient pas les siens.

L'odeur du gibier remonta dans ses narines, la fit saliver, son regard pétilla. Sans hésiter, elle se dégagea de la chaleur du soleil et du confort de son nid pour se jeter comme un diable dans une chasse. La victoire remportée d'avance, elle fait durer le jeu et s'enivre de la peur de sa proie dont les affolements du cœur lui parviennent aux oreilles. Le festin teinte l'herbe verte de vermeil, étanche autant sa soif que sa faim.
Un frisson lointain tente de la réveiller, comme une mise en garde, mais l'oracle préfère s'enfoncer plus profondément encore dans la conscience de son maitre et protecteur. Ce dernier la laisse aller, il profite de son état de faiblesse et l'entraine dans des souvenirs plus sombres que la jeune femme a toujours refuser de partager. La prairie s'ouvre sous ses pieds et elle tombe dans un puits sombre. Plus elle semble s'approcher du fond, plus l'air devient étouffant. Alors elle ouvre les yeux sur cette même prairie désormais brûlée. La détresse de la nature ici morte l'assaille, la poignarde. Elle a peur, elle pressent le danger d'avoir été si loin mais elle a beau tenté de retrouver sa réalité de toute ses forces, tendre son esprit vers la douleur de son épaule, sa propre faim ou le vent glaciale qui la gifle du fond de sa crevasse, le Gardien l'a piégée, il ne lui reste plus qu'à écouter, voir et ressentir.

La haine l'aveugle, les cris et le fracas de ce qu'on détruit l'assourdissent, la peur lui serre la gorge. Le Gardien n'arrive pas à faire lui même un tri de ses souvenirs, il déferle tout ce que sa mémoire conserve. Mais quelle mémoire ! C'est celle de toute une civilisation, du guerrier qui rend son dernier souffle à la petite fille pleine de colère qui s'acharne sur une créature déjà morte; c'est la mémoire d'une nature trahie et mortifiée, exploitée. Son essence, son sang, un cadeau fait jadis par les maitres de l'île aux hommes. Pourquoi lui montre-t-il cette époque ? Elle est si lointaine... Pourtant, la haine du Gardien si oppressante devient la sienne. Kataleyah ne fuit plus, elle adsorbe tout ce flux de souvenirs, d'émotions. Elle se noie presque dans cet océan. Et puis là, il lui semble qu’un sentiment doux et léger l'effleure, alors elle le poursuit. A peine s'y accroche-t-elle que le Gardien la redirige vers le sentiment le plus douloureux que la jeune oracle n'est ressentit jusque là. Elle comprend vite qu'elle est plus personnelle, plus intime, propre au Gardien. Un être précieux, disparu ? L'origine de tout cette colère ? Non, elle la nourrit seulement, comme tant d'autre.

Brusquement, venu de nul part, une image s'affiche. C'est si soudain que la jeune femme croit avoir retrouvé son corps. La plus belle chose que la nature est pu créer la regarde de toute sa grandeur, son ombre la recouvrant elle et la ville entière. Elle n'ose formuler dans ses pensées même le nom de ce qu'elle a vient de voir. L'image s'est déjà effacée.


Les années n'ont jamais effacées cette transe. Quand bien même Kataleyah s'efforçait à l'oublier, le Gardien ne se privait pas de lui raviver la mémoire et d'attiser ses émotions. Il faut savoir que la capacité émotionnelle d'un mortel, justement, n'est pas la même que celle d'un demi-dieu. C'est le fardeau des oracles, le prix à payer pour connaître le passé d'un peuple exilé. Avec le temps, la jeune erfeydienne apprit à mieux contrôler ce partage de conscience, mais elle demeure soumise à une volonté lointaine, comme ses confrères et consœurs. Alors, quant vient à retentir les alarmes, Kataleyah était déjà en route vers la tour de garde où sont emmenés les captifs. Comme à son habitude, le Gardien n'est pas loin, mais cette fois elle perçoit un sentiment nouveau chez lui, qu'il cache, honteux. De l'espoir ?