Histoire

Au nord des Cimes Hérissées, durant une nuit claire, le vent souffle à l'extérieur. Dans la taverne, c'est le calme avant la tempête, la Nuit des Souvenirs approchent, chaque famille en va de ses préparatifs. Le jeune garçon n'a à s'occuper que d'une personne ce soir pendant que sa mère fait les comptes de la semaine dans la remise. Pykk apporte une nouvelle choppe d'hydromel au vieux caravanier assis au coin du feu. Celui-ci rallume une nouvelle fois sa pipe. Un rouleaux de cuir fin était posé sur ses cuisses et il en scrutait les gravures en attendant que le garçon s'installe sur le tabouret près de l'âtre.

"Alors, où en étais-tu ?"

Pykk replongea dans ses souvenirs. Il avait déjà raconté à l'homme qu'il était né voilà treize printemps, dans cette même bourgade qu'il n'avait jamais quitté. Ses parents avaient été mariés pour un accord commercial entre la taverne maternelle et l'hydromelerie, mais leur amour avait fini par jaillir. Ygrid était née de cet amour et Pykk l'avait suivi de trois ans. Aussi loin qu'il se souvienne, il y avait toujours eu le même mode de fonctionnement, ce serait lui qui hériterait de la taverne et de l'hydromelerie, sa sœur assurant le transport. Elle avait bien vite disparu de la maison, toujours apprenti pour un caravanier de passage. Pykk avait donc appris toutes les bases du commerce et de la fabrication d'alcool dans sa jeunesse, il n'était pas ignare des techniques de marchandage et de cueillette. Voilà où il en était resté.

" Je vous ai parlé de ma découverte du lien ?
- Non, je serai ravi que tu m'en dises plus."

Pykk se lança donc dans la suite de son récit. C'était la première fois qu'il accompagnait son père à la cueillette, il avait six ans. Il avait besoin de refaire le stock de baies diverses et variées pour ses décoctions ainsi que pour les recettes de la taverne. Ils s'aventurèrent donc dans les Cimes Hérissées. Des voix semblaient murmurées à l'oreille de Pykk, quand il en fit part à son père, celui-ci répondit que c'était certainement le vent dans les branches. Pykk resta emmitouflé dans son manteau, tiré sur le traineau que son père traînait. Il était dubitatif et regardé à droite et à gauche quant à l'origine de ses voix. Il descendit du traineau et s'éloigna du chemin sans que son père s'en aperçoive, trop occupé à scruter les buissons.

Pykk écouta son instinct et découvrit, après plusieurs minutes de marche difficile dans la neige, trois fleurs bleutées, qui dans l'obscurité des nuages semblaient luire. Le jeune garçon s'en approcha, elles l'appelaient il en était convaincu, il tendit la main.

Attention. Surprise. Danger. Interrogation.

Les mots avaient empli son esprit. Il se retourna, un Wyrmide approchait de lui, une flaque visqueuse tachait la neige derrière lui, une trainée rougeâtre lui strié le flanc. Un animal blessé, ou rendu fou. Il fixait Pykk d'une lueur que celui-ci n'avait jamais vu dans le regard dans un animal de cette espèce. Pourtant, l'enfant ne prit pas la fuite, plus intrigué qu'autre chose.

Fuir. Refus. Protéger.

Quelque chose dans l'air changea. Les arbres semblèrent se rapprocher, la lueur des fleurs s'intensifia. Les branches vinrent frôler l'animal, celui-ci apeuré et blessé, s'enfuit en criant. Pykk était encore dans l'incompréhension, ses pensées c'était mêlé à celle des plantes environnantes. Il retourna son regard vers les trois fleurs. Des fleurs du Gardien, le nom lui revint subitement. La magie du Gardien était donc proche de cet endroit, il l'avait donc protégé.

Présence. Homme. Famille.

Le père de Pykk jaillit alors des buissons, une hache à la main, essoufflé. Il regarda son fils assis près des fleurs. Il laissa tomber sa hache et approcha de son enfant pour le serrer dans ses bras.

" Alors, tu commandes aux plantes, fascinant.
- Non, ce n'est pas ça, je les comprends et elles me comprennent, je n'ai aucun pouvoir sur elles.
- Bien, mais ça reste intéressant. Et ensuite ? "

Pykk se rappelait encore, il y a deux ans, peu après la Nuit du Souvenir, sa soeur avait été prise par un maitre caravanier, elle était revenue transformée, toujours à regarder par la fenêtre, comme si être entre quatre murs la gênait. Elle était partie un an plus tard, ne revenant que pour les fut d'hydromel et ne restant jamais plus d'une nuit. Pykk était devenu le seul enfant dans la maison et ses responsabilités ne cessaient de monter à mesure que la popularité de l'établissement augmentait. Son père avait fini par le laisser partir cueillir les plantes seul, il revenait toujours avec des réserves supérieures, son lien avec la nature lui permettant de trouver les meilleurs coins. Il apprenait l'histoire des Erfeydes aussi bien que les autres enfants, par les bardes et les artistes mais également par les plantes, qui lui transmettaient leur histoire par un simple mot.

" Je vois, c'est vrai que c'est un bel établissement que vous avez là et l'alcool y est excellent.
- Merci, c'est mon premier fut personnel que vous goûtez.
- J'en suis honoré. "

C'était l'épreuve de son père, savoir s'il avait bien tout assimilé de l'art de l'hydromelerie. Les trois années qui lui restaient avant la majorité devait seulement servir à parfaire sa technique. Pykk était donc parti seul en quête de nouveauté, des baies succulentes, acides, sucrés, sèches, bref un herbier complet qu'il trimballait dans sa sacoche. Il avait passé bien des nuits à tester des mélanges de baie avant de trouver une recette qui lui semblait nouvelle et qui apportait de la nouveauté. Il avait alors saisit un fut neuf et en avait tapissé l'intérieur d'une pâte à base de ses baies. Il l'avait ensuite remplie d'eau, de miel et de levure. Après un mois de fermentation, il 'lavait fait gouter à son père qui avait souri après la dégustation. Depuis le fût tronait désormais en bonne place derrière le bar de la taverne.

" Tu es un garçon plein de ressource, tu n'as jamais eu envie de voyager ? Un garçon comme toi pour m'accompagner me serait bien utile.
- Je dois pourtant refuser, je suis bien ici, mes parents ont besoin de moi.
- Je vois... Bien, il se fait tard, je vais donc me coucher. Adieu mon garçon.
- Au revoir. "

Le vieillard se leva, il rangea son parchemin de cuir et tapa les cendres de sa pipe contre l'âtre. Il monta à l'étage. Pykk se dirigea vers l'arrière boutique. Sa mère était encore sur les comptes, la bougie qu'elle avait allumée grâce à la magie se consumait, rependant une odeur de miel dans la pièce. Pykk s'assit à côté d'elle et l'observa faire danser les chiffres de sa plume. Le garçon s'endormit contre sa mère.
Il se réveilla le lendemain matin, dans son lit. Et rejoignit la taverne après s'être habillé, le vieux caravanier se tenait dans l'embrasure de la porte avec ses parents, ceux-ci paraissaient inquiet. Ils regardèrent Pykk, l'homme se retourna vers lui.

" Un Rhywyn est passé ce matin quand je m'apprêtais à partir. Des étrangers ont attaqué notre côte, ils sont près de la Muraille. Pour le moment, tous les clans s'accordent pour nous dire d'éviter le Nord-Est."

Pykk comprit instantanément les inquiétudes de ses parents. Ygrid était dans cette région. Ils étaient contraint de continuer à vivre en ayant peur que le lendemain leur apporte une nouvelle néfaste. Les jours continuaient de passer avec cette épée au-dessus de la tête, sans pouvoir rien y faire, ils devaient continuer à vivre ne pas rester dans l'attente, pour le bien de leur entreprise, de leur famille, de leur bourgade, de leur île.