Histoire
J'ai grandis dans un clan Forban (aujourd'hui décimé), dans une famille peu chanceuse : mis à part mon père, nous n'étions que des femmes. Ma mère, ma soeur et moi-même.
Alors forcément, il en voulait beaucoup à sa femme, de ne lui avoir donné que deux gamines sans intérêts. Jeune, j'avais donc toujours vécu avec l'idée que j'étais une erreur, que je ne valais même pas que l'on me ramène à manger. Ah, l'amour paternel. Ah, les préjugés d'un clan. Que c'est beau. Que c'était beau.
Heureusement pour moi, ma soeur était là. Nous étions jumelles, toutes deux identiques, jusqu'à nos tâches de naissance ou le son de nos voix. Mais niveau caractère, c'était bien différent. Elle était naturellement, plus dure que moi. Elle m'apprit à l'être. Je crois que je serai morte mille fois sinon. On peut dire ce qu'on veut sur les Forbans du Désert; mais quand il s'agit de solidarité ou de fidélité, nous sommes des champions.
Du moins, entre nous. On protège notre race, c'est normal : nous le méritons amplement plus que ces oisifs des pays froids.
Mais je ne vais pas m’appesantir sur tout cela : on s'en fiche.
Je vivais en parfaite harmonie avec ma soeur et puis c'est tout. Enfin, jusqu'à sa mort.
Notre clan fit un raid, encore un. Notre premier cependant pour Irina et moi. Enfin premier ... On y avait été envoyées en tant qu'éclaireuses. Certes, il y avait trop peu de garçons pour se dispenser de nous emmener, mais nous laisser nous battre, certainement pas. On n'allait pas risquer de frôler le ridicule pour deux femelles. Nous fîmes donc notre travail et même plutôt bien. Et puis ...
Je ne me souviens pas de tout. J'ai vu du sang gicler dans mes yeux et je me demandais si c'était le miens. Mais non, je n'étais pas encore blessée non. C'était celui de ma jumelle. Elle était à demi décapitée. Oui, carrément. Ses yeux étaient toujours ouverts et son corps tremblait, tandis qu'elle lâchait les derniers râles de souffrance qu'elle ne pouvait contenir.
Tout autours de moi, c'était une boucherie. L'escouade que nous voulions passer pour atteindre le but de notre raid était en fait bien plus nombreuse que prévu. Bien trop. Une fuite chez nous ?
Je me le demande encore aujourd'hui.
Je ne connaissais alors pas l'odeur si particulière du sang chaud sur le sable, ni la vue terrifiante des regards sans vie braqués sur vous comme pour vous happer aussi vers le monde des morts. Puis ce fut le noir.
Je ne me réveillais qu'à la nuit tombée et pensais émerger d'un cauchemar. Raté. Je marchais entre les corps telle une possédée, sans but, pensant moi-même avoir perdu la vie. J'errais pendant plusieurs jours, mes pas me guidant loin, suivant le vent qui me poussait vers l'avant, comme pour m'empêcher de me retourner, comme pour me sauver.
Ma soeur, mon âme, était morte. Je pleurais là pour la première fois de ma vie. Mais dans le Désert, les larmes ne coulent pas, elles s'évaporent. Je pleurais sans pleurer de longs, très longs jours.
Et puis, je me relevais.
Il était temps de faire payer à tous ces salauds le meurtre de ma soeur. Il était largement temps. Le soucis, c'est que je ne les avais pas vus. Du coup, maintenant, dans le doute je trucide tout ce qui passe sur mon chemin avec le teint trop pâle et un uniforme. Voir même sans. J'ai peut-être sans le savoir tué une dizaine de fois celui qui avait décapité Irina. Mais je n'étais et ne suis pas rassasiée. Alors, je continue, jusqu'à ce que cela me paraisse vain.
Je n'ai pas appris à tuer aussi vite et bien tout de suite. Les cicatrice sur mon ventre en sont la preuve; j'ai bien faillis y passer. J'ai commencé mon entrainement pour ma croisade de mort sur les animaux sauvages que je rencontrais dans mon errance. D'où ces gigantesques griffures. Heureusement, je survécu et gagnais. Encore, toujours. Pas assez.
L'animal qui m'a fait ça fut mon premier fait d'arme : nous nous battîmes longtemps, dents contre couteau, griffes contre sabre (autant d'armes que j'avais récupérées sur les lieux de ma toute première - et bien morbide- bataille.), du petit matin jusqu'au soir. Je gagnais en titubant, m'écroulant sur le cadavre encore chaud de ma proie.
J'avais réussis mon "test" : je pouvais donc suivre ma voie de haine et de vengeance.
C'est ce que je fais aujourd'hui : je parcours le plus souvent le désert pour vivre ma solitude bien à l'écart du reste du monde, traquant mes démons lorsque la moindre piste se présentait. Cela fait maintenant 5 années que mon double est mort: 5 années que je vis ainsi, 5 années que je compte reconduire jusqu'à ce que je meurs enfin, n'ayant même pas le courage d'attenter moi-même à mes jours.