HistoireJournée ordinaire dans un petit hameau des Erfeydes, où le silence paisible est seulement perturbé par des cris qui résonnent. En contrebas de la colline, là où la neige est plus épaisse, s'affrontent une poignée d'enfants. C'est à celui qui fera mordre la poudreuse à l'autre : épée de bois et lances émoussées s'entrechoquent dans un bruit mat. Ce combat est inoffensif, mais pour ces jeunes garçons, il concurrence volontiers les plus grands duels à l'épée que l'Histoire eut jamais connu. Les bambins ne se font pas de cadeau : un coup brutal en touche un à l'épaule, et bientôt il s'affaisse, incapable de résister sous les assauts redoutables de ses adversaires. Essoufflé et l'épaule endolorie, il grimace un instant tandis que sa respiration se transforme en buée. Face à lui, trois compères le fixent en ricanant : parmi eux, l'un est son frère, un autre un ami de la famille, et le dernier un enfant du village. Tous le contemplent l'air rieur, et le plus âgé lui tend une main secourable.
Ignorant délibérément cette main tendue, le bambin tombé à terre se redresse et, furibond, réplique :
« C'est une épée Almarik ! Pas un marteau ! » Suite à quoi il s'éloigne en massant son épaule endolorie. Probablement aurait-il un gros bleu demain. Il perçut dans son dos les remarques hypocrites de ses camarades de jeu :
« Qu'est-ce que t'y connais en armes, P'Tyrion ? Ça t'arrive de quitter le giron de ta maman ?»
Vexé, Tyrion se retourna, le visage en flammes :
« Retire ça immédiatement !
- Sinon quoi ?
- Retire-le ! »
Un peu plus loin, Jereiwin et l'enfant du village pouffaient dans leurs mains. Resté à l'écart, l'aîné de la fratrie Filizine observait la scène, imperturbable. Lorsqu'il croisa le regard outré de son cadet, il soupira et lâcha :
« Excuse-toi, Almarik. »
Et le gamin, bien que de mauvaise grâce, n'eut d'autre choix que de s'exécuter. Satisfait, Tyrion releva le menton, et s'éloigna en direction de la maison. Mais les rires des autres jeunes garçons l'atteignaient comme une pluie de flèches, et pénétraient son cœur humilié. Oubliant momentanément la douleur dans son épaule, il se mit à courir pour ne plus avoir à subir ça. Pénétrant dans la maison familiale, il claqua la porte de sa chambre avant de se jeter sur sa couche, tremblant. Sa mère ne mit guère de temps à venir. L'enfant frissonna lorsque ses mains douces se posèrent sur ses joues encore rougies par la honte.
« Ils me traitent comme une fille , souffla-t-il avec colère.
- Oh, et pourquoi est-ce si terrible ? »
Tyrion se redressa en fronçant les sourcils, choqué que sa mère puisse le considérer comme tel.
« Je ne suis pas comme Tarja !
- Oh, par le Gardien, non ! Une Tarja me suffit bien assez. Tu es toi, et c'est suffisant.
- Mais je suis faible » , grogna-t-il à nouveau en se détournant, boudeur.
Sa mère soupira et le serra contre son cœur. Même si cela donnait en quelque-sorte raison à Almarik, Tyrion se laissa faire. C'était agréable.
« Ecoute-moi bien, Tyrion Filizine. Peu importe ce que disent tes idiots de frères et Almarik. Peut-être sont-ils puis forts que toi à l'épée ou au maniement de la hache pour l'instant, mais qu'est-ce-qui leur fait dire que tu ne les surpasseras pas un jour ? Aucun héros de l'Histoire n'est né héros. Ils le sont tous devenu. » Elle embrassa son front, lui sourit : « Tu es fort, mon Tyrion. Tu es brave, et tu as tout ce qu'il faut pour devenir quelqu'un d'exceptionnel. Pourquoi pas un musicien ?
- Je veux être un guerrier, M'man, protesta l'intéressé.
- Soit, soupira-t-elle. Tu as l'étoffe d'un grand guerrier, mon chéri. Cesse de prêter attention à ce que racontent les autres. » Elle effleura une dernière fois ses boucles brunes, et quitta la pièce.
***
« Tu as l'étoffe d'un grand guerrier ». Ces mots ne cessèrent d'occuper l'esprit du jeune Tyrion durant les mois suivants. Certes, il était faible à l'heure actuelle, mais sa mère devait avoir raison, non ? Ses frères n'avaient qu'à bien se tenir ! Un jour, il les surpasserait tous. Restait à savoir comment...
Cette période fut également celle où son lien avec l'Ithylium se manifesta pour la première fois. De brusques flammèches apparurent à l'extrémité de ses doigts alors qu'il se disputait véhément avec Tarja. Cela le fit taire instantanément, et autant dire que la dispute cessa sur le champ, ce qui l'empêcha de se ridiculiser d'avantage.
Lors des bagarres-pour-de-faux qui suivirent, le jeune garçon, alors âgé de douze ans, restait à l'écart et observait. La présence de son frère aîné l'apaisait. Bardor était ce qu'on peut honnêtement nommer un personnage taciturne, mais son silence rassurait son benjamin. Tyrion passa de longues heures à regarder d'un œil critique les coups bourrus de Jereiwin, Almarik, et leur troisième compagnon de jeu. Ils le chambrèrent bien au début, mais finirent par laisser tomber en constatant qu'il les ignorait. Tous les trois paraissaient grandir à vue d'oeil, tandis que lui restait sur le côté. Il ne savait pas manier l'épée, ni la hache, ni la masse d'arme... c'était à peine s'il savait d'instinct comment tenir un bouclier. Pourtant, au fil de ces séances d'observation, le jeune garçon apprit inconsciemment à reconnaître les tactiques de ses anciens adversaires, et il lui arrivait de songer : « Ah ! À sa place, j'aurais paré le coup vers la droite, pour riposter à gauche » ou « Mauvaise idée, ce coup d'estoc... ça laisse sa poitrine à découvert ». Il gardait ses remarques pour lui, toutefois, car une ambition grandissait en lui : mettre la pâtée à Almarik. C'était un rêve immature et un peu fou, mais il s'y accrochait. Le fils prodigue s'accaparait toute la gloire et l'admiration. Tyrion lui reprochait de ne pas partager.
Quelques mois à peine après avoir eu cette discussion avec sa mère, le jeune garçon profita d'un après-midi ensoleillé pour défier celui qu'il considérait comme un rival. Après tout, Almarik n'était même pas un Filizine. Il ne faisait qu'empiéter sur leur territoire, recevait à leur place ce qui leur revenait de droit. Son aîné le considéra tout abord de haut en bas, avant d'exploser d'un rire tonitruant. Cette réaction ne fit qu'agacer d'avantage Tyrion, qui serra les dents. Son rival lui tapota le dessus de la tête, l'air condescendant, et s'éloigna en l'ignorant. Ce fut le geste de trop. Le jeune garçon bondit en avant et voulut projeter l'adolescent à terre, et... ce fut à peine si Almarik tituba. Il le balaya d'un revers de main agacé et lança, hésitant entre l'amusement ou l'irritation :
« Ah, tu veux jouer à ça ? Parfait. Voyons voir ce que tu as appris en faisant la cuisine avec ta maman, P'Tyrion. »
Ce fut désastreux.
Bardor n'intervint pas, laissant le jeune inconscient prendre une vilaine dérouillé. Almarik veillait bien sûr à ne pas infliger de graves blessures à l'effronté, mais c'était tout de même humiliant. Le lendemain, Tyrion en était réduit à compter ses hématomes, et à maudire la descendance d'Almarik sur plusieurs générations. Sa mère ne fit aucun commentaire sur son œil au beurre noir, mais il eut à supporter les regards entendus de Jereiwin et Tarja, à qui le premier avait tout raconté. Visiblement, ça les amusait beaucoup.
Tyrion ne comprenait pas pourquoi ça n'avait pas fonctionné. Il avait étudié le style de combat de son adversaire, avait évalué ses chances, mais rien n'avait marché comme il l'aurait voulu. Il avait bien réussi à esquiver quelques coups en roulant au sol, mais ses frappes à lui s'étaient révélées complètement inutiles. Malgré lui, le garçon réalisa qu'être un héros, ce n'était pas aussi simple que ça en avait l'air. Suite à cette cuisante humiliation, Tyrion prit de la distance avec ses pairs. Le bosquet bordant le hameau offrait une intimité qui lui manquait : vivre dans une famille de sept enfants se révélait fatiguant au quotidien. Il ne faisait que s'asseoir contre un arbre, emmitouflé dans une épaisse fourrure, remuant des pensées désagréables. Mais un jour, l'un des enfants du village, dénommé Ulfrid, insinua une chose à son égard. Ce n'était pas une remarque si grave, mais Tyrion s'était levé du pied gauche ce jour-là. Sans réfléchir, il tenta de frapper l'adolescent, qui para son coup sans grande difficulté. Mais au moment où il allait riposter, le visage déjà étiré en un sourire narquois, le cadet Filizine lui enfonça son poing au creux de l'estomac, chassant l'air de ses poumons. Sonné, Ulfrid s'effondra, happant de grandes goulées d'air. Tyrion bomba le torse, cracha à ses pieds et cria d'une voix stridente :
« Je suis Tyrion Filizine, sale fils de Skoll ! Et sache qu'un jour tu ploiera devant moi ! »
Il apprécia une seconde encore sa toute récente supériorité, et s'éloigna en courant. C'était assez prétentieux, et son départ précipité gâchait un peu l'effet théâtral, mais il était étonnamment fier et surpris à la fois. Comme à son habitude, il détala jusque dans le bosquet qu'il avait fait sien, et se colla contre le tronc d'un arbre, le cœur battant comme s'il voulait sortir de sa poitrine. Il peinait à réaliser ce qu'il venait de se passer. Il avait mis quelqu'un par terre. Lui, P'Tyrion, avait battu quelqu'un. Un bref éclat de rire lui échappa, puis un autre, et il se retrouva bientôt plié en deux. Ce surnom ne serait peut-être bientôt plus d'actualité...
***
Le bosquet fut bientôt plus qu'un endroit caché où il pouvait jouir de la solitude. De longues heures durant, le jeune garçon s'entraîna à l'abri des regards. Son agilité et la rapidité avec laquelle il se mouvait semblaient être ses plus grandes armes, si bien qu'il entreprit de les exploiter. Bientôt, ses poings et ses pieds fendirent l'air à une vitesse inquiétante. L'écorce des arbres se marqua peu à peu de l'emprunte laissée par ses expériences. Ulfrid eut tôt fait de répandre la nouvelle, de sorte que les autres le regardaient avec une nouvelle attention. Fort de cette victoire, Tyrion roula des mécaniques dans les ruelles. Ses frères ne le prenaient toujours pas au sérieux, mais au fond de lui, le garçon savait qu'il prendrait sa revanche un jour. Sa mère avait eu raison depuis le début.
Tyrion évita de combattre ses frères les deux années qui suivirent cet exploit, et n'eut plus guère l'occasion de mettre ses camarades à terre. Peu à peu, l'attention retomba, mais les transformations physiques du garçon ne passaient pas inaperçues. Grandissant et prenant du muscle, Tyrion ressemblait de plus en plus au guerrier qu'il rêvait de devenir. Seules ses épaisses boucles brunes tranchaient avec cette apparence et, alors qu'il avait l'âge de quinze ans, son petit frère Jereiwin ne manqua pas de le lui faire remarquer. Le dernier fils Filizine n'était pas un méchant garçon, mais certaines de ses réflexions pouvaient se révéler trop franches.
Fou de rage de s'être fait traiter d’angelot, Tyrion claqua la porte de sa chambre comme à son habitude, et se munit d'un poignard. Il ne réfléchit pas avant de porter la lame à ses cheveux. Un amas de boucles couvrit bientôt le sol. Lorsqu'il eut fini, l'adolescent inspira profondément en contemplant les dégâts. Il se passa une main sur la tête, et ses mèches raccourcies crissèrent sous ses doigts. Sa peau effleura une mèche oubliée. L'adolescent s'apprêtait à lui faire subir le même sort que les autres, mais il la tourna entre ses doigts, songeur. Sa mère n'avait de cesse de lui répéter que pour atteindre un but et ne pas s'en détourner, il fallait que quelque-chose le rappelle sans cesse. Tyrion reposa son poignard et entreprit de nouer en une longue tresse fine les cheveux restants avec un lien.
Lorsqu'il sortit de la chambre, sa famille ne fit aucun commentaire. Seule sa mère croisa son regard sombre. Le sien était empli de tristesse, mais Tyrion décida de ne pas y prêter attention.
Ce fut également la période où, alors que nombre de ses camarades avaient déjà choisi le clan qu'ils rejoindraient après l'épreuve du Labyrinthe, il décida de faire de même. Un baluchon sur l'épaule, armé de sa détermination ainsi que de son courage, le jeune garçon partit à Pleyrion afin d'y rencontrer Nivilk Markin. Il n'aurait su dire pourquoi, depuis quelques temps il avait la certitude que le clan des Bois de Koun lui correspondait le mieux. Sa loyauté envers le Gardien enflait chaque jour un peu plus, prenant de l'ampleur, dévorant le reste. C'est ainsi qu'il se rendit à Pleyrion, petit village calme, protégé par la faction. Sans aucune gêne, il échangea quelques mots avec les factionnaires, qui le regardèrent arriver d'un œil narquois. Tyrion n'était pas très impressionnant. Pourtant, quand ils le virent à l'oeuvre sur le champ d'entraînement, ces hommes changèrent rapidement d'opinion : les lames que maniaient l'adolescent fusaient dans l'air glacé et ne manquaient que très rarement leur cible. Il fut entendu qu'après avoir triomphé du Labyrinthe, Tyrion trouverait une place au sein du clan. Il repartit chez lui quelques semaines plus tard, gonflé d'orgueil et d'ambition.
Il fallut qu'un an s'écoule pour que ses cheveux repoussent. Toutefois, ils étaient à présent raides et se dressaient par épis sur son crane. La disparition de ses boucles semblait marquer la fin de son enfance. Tyrion se renseigna auprès d'une guérisseuse de passage, décidé à connaître les points sensibles du corps humain. Il apprit à voir les veines palpiter sous la peau de ses adversaires, à toucher le plexus solaire du premier coup, à briser quelques côtes d'un coup de talon. Il n'usait pas de force, mais de rapidité et de précision, et sa petite taille -plus petite que celle de ses pairs en tout cas- lui assurait une agilité qu'ils ne possédaient pas. Jusqu'à présent, l'adolescent n'avait encore jamais prêté attention à son lien avec l'Ithylium. Puisque tout le monde en avait un et que le sien ne lui paraissait pas exceptionnel en soi, il n'avait guère cherché à s'exercer plus sérieusement. Mais pour atteindre son rêve -devenir un héros Erfeydien-, il devrait certainement entrer dans un clan tout comme ses frères. Le poste de guerrier l'attirait plus que les autres, aussi se devait-il de contrôler son don un minimum.
En plus d'enrichir ses connaissances sur l'anatomie humaine, Tyrion s'exerça dans l'éternel bosquet. Les écorces enfoncées sous les coups de ses poings et pieds furent bientôt brûlées par le feu qui dansait au bout de ses mains. En quelques mois, l'adolescent parvint à sensiblement augmenter la puissance ainsi que la chaleur de ses attaques. Toutefois, il s'avéra que celles-ci se révélaient plus dangereuses encore lorsqu'il se trouvait dans un état de colère prononcé.
Dans le hameau où vivaient les Filizines, certains croyaient dur comme fer au Gardien, d'autres remettaient en cause les dires des Oracles. Tyrion était occupé à fendre des bûches de bois lorsque le jeune garçon qu'il avait battu il y a deux ans passa devant lui, en compagnie d'une des filles du village. Visiblement, le premier tentait d'impressionner la seconde. Gloussant bêtement, la jeune fille croisa le regard de Tyrion et rougit joliment. Le garçon l'ignora, car les filles ne l'intéressaient pas spécialement. Toutefois, il entendit l'une des phrases qu'ils s'échangeaient :
« ...peuvent bien parler de toute manière. Tant que je n'aurai pas vu le Gardien moi-même, je ne serai pas convaincu de son existence. Tout ça, ce sont des légendes pour les gens crédules et un peu bêtes. »
Le sang de Tyrion ne fit qu'un tour, il se retourna, si bien que les promeneurs s'arrêtèrent, surpris. Le garçon du village jaugea Filizine du regard et, sourit d'un air narquois, ses yeux descendant jusqu'à la hache qu'il tenait toujours :
« Quoi donc, l'bucheron ? Une écharde t'aurait-elle piqué l’œil ?
- Retire ce que tu as dit sur le Gardien.
- Ha ! L'bucheron se réveille !
- Retire-le, c'est tout !
- Sinon quoi ? Tu saurais donc manier les armes, P'Tyrion ? Comptes-tu me pourfendre en deux avec ta hache ?»
Une foule de choses traversèrent l'esprit de Tyrion à cet instant. Son vieux surnom réveilla une colère sourde, et il réalisa que cette discussion rappelait étrangement celle vécu quatre ans plus tôt. Il n'avait pas gagné contre Almarik ce jour-là. Mais il pouvait vaincre cet imbécile aujourd'hui. L'honneur du Gardien ne serait pas tâché devant lui.
Sans réfléchir, il lâcha son arme, qui tomba au sol avec un bruit mat. Ses mains se couvrirent de feu, et plus sa colère grandissait, plus les flammes s'assombrissaient. Elles furent bientôt d'un noir de jais, qui fit crier la jeune fille. Le garçon qui l'accompagnait cessa de rire. Les deux jeunes gens se fixèrent, tendus, tandis que l'adolescent prenait les jambes à son cou.
« Et maintenant, P'Tyrion ? Qu'est-ce que tu comptes faire ? »
Que comptait-il faire ? Il n'en savait rien. Mais c'était comme si toute la rancœur, toutes les insultes et les moqueries supportées remontaient à la surface. Comme si toute sa haine avait été laissée de côté pendant seize ans, et se rappelait à sa présence par vagues destructrices. Il aurait pu le tuer, là, à cet instant précis. Il lui aurait suffi de le vouloir suffisamment fort. Il avait insulté le Gardien. Il l'avait insulté lui. Qui d'autre insulterait-il plus tard ?
Tremblant, Tyrion ne savait plus que penser. Il voulait se battre. Il gagnerait à coup sûr. Son adversaire avait passé plus de temps à courir les filles qu'à s'entraîner dernièrement. Peut-être devrait-il lui montrer à quel point cette erreur pourrait lui coûter cher... mais une pensée en entraînant une autre, il songea à quel point sa famille serait touchée s'il commettait ce crime. Il baissa les bras sans que sa colère ne disparaisse. Il se haïssait lui, de ne pas être capable de faire ce qu'un autre aurait fait.
L'adolescent qui lui faisait face ricana, mais se détendit à vue d’œil. Il ne s'attarda pas d'avantage. Resté seul, Tyrion donna un grand coup de pied dans le tas de bûches, qui dégringolèrent dans la neige. Il se savait en état d'être fort. Il devrait se le prouver. D'une manière ou d'une autre.
Un mois plus tard, il partait pour le labyrinthe de Mo Duinne.
***
Son baluchon cognait son dos par à-coups réguliers. À rythme lent, ses pieds frappaient le sol, soulevant une légère couche de neige à chaque pas. Le froid engourdissait ses muscles qui, douloureux, protestaient à chacun de ses mouvements. Mais il continuait à avancer.
Cela faisait trois jours qu'il errait en vain dans le labyrinthe. Sa famille l'avait accompagné à l'entrée, une dernière étreinte, un dernier conseil, et il était entré. Sans un regard en arrière. Avec, en tout et pour tout, quelques vivres dans un baluchon, trois de ses poignards favoris, et sa confiance démesurée. Il avait toutefois prit soin d'enrubanner ses pieds et ses mains de bandes imbibées d'Ithylium.
Le premier jour n'avait posé aucun problème. Bien que prévenu des créatures qui hantaient les allées du labyrinthe, Tyrion n'en avait croisé aucune, et il était parvenu à se repérer. Lorsque la nuit avait étendu ses bras, le jeune homme était presque certain de se diriger vers l'Ouest. Les étoiles lui indiquaient la voie, et il avait appris à se diriger grâce à elles avant de quitter le hameau.
Le lendemain s'était révélé plus ardu.
Confiant, il avançait librement lorsqu'un hurlement avait retenti. Les hauts murs de glace avaient renvoyé son écho, si bien qu'il n'avait put deviner l'origine de ce cri animal. Il ne devait en tout cas pas s'agir d'un animal inoffensif. Bientôt, d'autres hurlements s'étaient joints au premier, et la méfiance Tyrion avait augmenté d'un cran. Les cris semblaient résonner de tous les côtés à la fois. Perdant patience, il avait depuis longtemps tiré deux dagues, qu'il empoignait fermement tout en arpentant les allées. Le jeune homme avait alors poussé un cri de rage, et donné un coup de poing dans l'une des parois. Les bêtes s'étaient tues. Alors qu'il allait se retourner, un grognement sourd l'avait interpellé. Un Skoll de bonne taille le fixait à quelques mètres. La bête avait retroussé ses babines sur ses énormes crocs. Tyrion l'avait jaugé à son tour : il était presque certain de surmonter le fauve. Mais alors qu'il se faisait cette réflexion, un autre Skoll était apparu à sa droite, lui bouchant toute retraire. Le temps avait paru se figer.
Et puis, les bêtes étaient passées à l'attaque. Tyrion avait incendié ses poings alors que le fauve le plus proche l'atteignait : un coup dans ses cottes l'avait arrêté net. Mais une vive douleur irradiait dans sa cuisse, là où le second Skoll venait de déchirer sa peau de ses griffes. Il avait hurlé tout en le menaçant de ses poings. Pour l'instant, il tenait les chasseurs à l'écart, mais cela ne durerait pas éternellement. Il fallait trouver une issue. Sans réfléchir, il avait alors roulé sur le côté et prit ses jambes à son cou. Il avait entendu le galop caractéristique des fauves pourchassant leur proie tout en décidant de ne pas y prêter attention. Tyrion courait vite, mais sa jambe blessée le faisait souffrir plus qu'il ne voulait l'admettre. Il se serait probablement fait déchiqueter les mollets si une gigantesque masse blanche ne l'avait pas obligé à plonger sur le côté. Il avait perçu les cris d'agonie des Skolls dans son dos, tandis que le Skunk les massacrait. Le jeune homme avait du ramper sur quelques mètres le plus silencieusement possible, avant de se redresser et de claudiquer maladroitement, s'aidant des murs de glace pour avancer. Ce ne fut qu'après avoir marché au hasard pendant plusieurs minutes qu'il s'était enfin autorisé à s'arrêter. Son premier réflexe avait été de recouvrir sa plaie de neige. Les griffes du Skoll avaient laissé sur sa cuisse trois traînées sombres. Ce n'était qu'une vilaine blessure, la première de celles qu'il recevrait plus tard, il le savait.
Il avait attendu la nuit. Mais le ciel était empli de nuages, et ceux-ci masquaient les étoiles. Impossible de savoir dans quelle direction aller. Le lendemain, il s'était levé à l'aube, avait laissé un peu de neige fondre dans sa bouche, avant de se remettre en route au hasard.
Et à présent, il marchait. Sa jambe ne le faisait plus autant souffrir, mais à chaque fois qu'il déportait son poids sur son côté droit, un élancement brûlant naissait dans sa cuisse. Cela faisait plusieurs heures déjà, et rien n'avait changé, sinon qu'il guettait avec une attention redoublée les cris des créatures qui hantaient le labyrinthe. Son baluchon avait disparu lors de sa récente fuite.
Subitement, il butta contre une motte de glace, et faillit s'effondrer. Fou de rage de tourner en rond, il cria, oubliant toute prudence :
« Je suis Tyrion Filizine ! Je suis Tyrion Filizine !» comme si ces mots suffiraient à ouvrir une brèche dans les murs tant il était quelqu'un d'important. Voyant que rien ne se passait, il étouffa un juron, et planta l'un de ses poignards dans la paroi la plus proche. La lame s'y enfonça à peine de deux centimètres, mais cela lui donna une idée. Tyrion tira une seconde dague, qu'il ficha dans la glace un mètre plus haut, avant de poser un pied sur la première et de se hisser. La douleur dans sa cuisse se raviva et ses doigts gourds agrippaient avec difficulté le manche du poignard plus haut, mais il passa outre. Sans se hâter, il saisit sa troisième arme, et répéta l'opération. En quelques minutes, il eut atteint trois mètres. Un dernier effort le fit se hisser sur le torse en haut du mur. Le vent s'engouffra dans sa tunique et fit voleter son unique tresse. Il dut plisser les yeux et battre des paupières à plusieurs reprises avant de pouvoir discerner quoique ce soit. Le labyrinthe s'étendait sur des kilomètres de chaque côté, si bien qu'il n'en voyait pas le bout. L'horizon n'était qu'une vague ligne blanche. Tyrion aurait hurlé de frustration, mais il se contenta de serrer les poings, car une brusque fatigue l'avait envahi tout à coup. Il redescendit avec précaution, mais l'un des poignards se déchaussa du mur et il tomba. Son épaule émit un sinistre craquement en percutant le sol gelé. Cette même épaule qu'Almarik avait blessé avec son épée de bois, il y a de nombreuses années. Le jeune homme oublia la douleur qui irradiait jusque dans sa clavicule. Des flammes apparurent brusquement sur ses poings, et il constata sans surprise qu'elles étaient noires. Almarik. Il devait vaincre pour affronter à nouveau Almarik. Sans grimacer, il se redressa, délaissant le mur qu'il utilisait comme appui jusqu'ici. Il ne prit pas la peine de récupérer ses poignards. Dans sa tête dansaient des images de son enfance mêlées à celles d'un futur qui se révélerait vite à lui.
Il se remit à marcher.
***
Il lui fallu un peu moins de quatre jours pour sortir du labyrinthe. Tyrion fut accueilli par les membres de sa famille, reçut de grandes claques dans le dos, traça quelques signes censés représenter son nom sur la paroi de glace qui l'attendait. C'est à peine s'il prêta attention aux autres inscriptions. Une unique ambition le guidait désormais. Devenir un guerrier influent. Il avait vaincu le labyrinthe. Il avait vaincu le Tyrion faible et sans défense qu'il était autrefois. L'enfance était définitivement derrière lui.
Animé d'une lumière nouvelle, il ne vit pas le regard désolé de sa mère lorsqu'il partit -presque aussitôt- pour Pleyrion, là où l'attendait son avenir. Un vent nouveau soufflait sur les glaciers.
Où as-tu trouvé le forum ? Dans le pagne de Dobby.
Première impression : *O*
Robin Hobb ça te parle ? Ouiiiiiii.
Tes autres pseudos habituels : Khasaminou, Salëm le Saumon du Désert, et Gaspard le Saint-Prude.
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