Histoire


Dune est née le même jour que Kidjïa, avec quelques minutes d’avance et pour le bonheur de sa mère. Oui, seulement celui de sa mère. Son père, un ancien guerrier de la faction et qui plus est un vrai homme du nord, n’avait fait qu’un seul vœu dans sa vie : avoir un fils. Il n’en eut jamais mais récupéra deux filles qu’il jugea dès lors comme inutiles.
Les premières années de Dune ne lui sont pas réellement restées en mémoire et pour cause : la jeunesse n’imprime pas de souvenir précis et durable dans les esprits. Seul quelques ressentis, quelques images floues ou paroles effacées lui sont restées. Et parmi tout cela, il y a la bouille d’enfant de Kidjyïa et l’amour inconditionnel qui existait entre les deux bambins. Dune n’était pas vraiment du genre à pleurer ou à se laisser faire, tout le contraire de sa sœur. Mais cela ne provoqua pas de rupture entre elles, bien au contraire. La force et l’entêtement de l’une protégeait l’autre, et le calme et la sérénité de l’autre savait apaiser la première. C’était une relation merveilleuse que seuls les jumeaux ou jumelles peuvent connaitre et comprendre un jour.
Cette relation était également présente pour les rassurée l’une, l’autre quant à la froideur et la distance de leur père. En effet, avant un certain âge, les enfants ne peuvent comprendre qu’ils ne sont pas les bienvenus ou désirer par leurs géniteurs et pourtant, malgré l’incompréhension, ils le ressentent au plus profond d’eux. Face à cette angoisse quotidienne, les gamines s’étaient unies et ne pouvaient passer leur temps l’une sans l’autre. Même si leur mère essayait de compenser ce manque d’amour, elle ne pouvait donner de la force sur tous les plans… et c’est dire si elle en dépensait en vain.

Un jour, alors qu’il y avait eu des cris la nuit et que, comme d’habitude, la petite fille âgée de 7ans s’était bouché les oreilles très fortes pour ne pas les entendre, Kidjyïa devint introuvable. Autant dire si la panique et l’angoisse traversèrent Dune de part en part et s’emparèrent finalement de son esprit. Elle retourna la maison, puis les alentours de la maison. Finalement, elle retrouva sa sœur dans leur cabane secrète, celle qui les protégerait du monde entier comme elles se l’étaient dit. La petite Kidjyïa était dans un état de choc, un éclat de glace dans les mains. Après maintes paroles gauches et gestes timides (Dune avait toujours eu peur de casser sa sœur avec ses mouvements brusques), la petite fille réussit à faire parler sa moitié et découvrit ce qu’il s’était passé dans la nuit.
Kidjyïa avait trouvé sa mère violentée, violée et humiliée dans leur chambre par leur propre père. Ces simples mots dans la bouche d’une enfant, effraya et déstabilisa grandement Dune. Elle ne put jamais répondre à sa sœur, lui dire qu’elle avait une solution comme toujours ou que tout s’arrangerait car du haut de ses sept ans, l’enfance quittait seulement ses épaules, trop tôt déjà. Les jumelles avaient été arrachées à l’enfance avec brusquerie et envoyée dans le monde de violence qu’était celui des adultes sans transition. Cela aurait pu renfermée et paniquée la petite Dune, comme le fut sa sœur, mais son caractère vindicatif et combatif pris le dessus et elle se fit la promesse de ne jamais baisser l’échine devant cet affreux monde qu’elle avait découvert en ce jour au milieu d’une petite cabane d’enfant.

Suite à cet événement, Dune devint plus indépendante et ne se cacha plus derrière sa mère ou sa condition de fille. Son père n’avait de cesse de les rabaisser, Kidjyïa et elle, car elles n’étaient que des filles et que cela ne donnerait ni honneur ni descendance du nom à la famille. Dès lors, Dune choisit de lui prouver qu’il avait tort ! Elle ne pouvait faire perdurer le nom puisque seuls les hommes imposaient leur nom à la descendance, mais elle pouvait au moins assurer la fierté du nom Rijwän. Ils étaient connus pour avoir servis la faction génération après génération, étant de fameux guerriers et de fiers Erfeydiens. Pour la petite fille, ce n’était pas son sexe qui l’empêcherait de faire de même et, un jour lorsqu’elle aurait atteint son but, elle forcerait son père à reconnaitre l’évidence !
Quoi qu'il en soit, ce fut à cette époque que la violence de leur géniteur déborda et se retourna contre la plus fragile de la famille, sa sœur. Cela débuta un jour où Dune était partie courir en forêt (à cette époque, elle voulait devenir une guerrière le plus vite possible et, aussi naïve qu’une enfant, elle avait décidé qu’il fallait commencer par avoir de la force), en revenant à la maison, elle entendit un cri de douleur dans la maison. Elle pensa tout d’abord que sa mère subissait une nouvelle fois la menace qu’était son mari et cela la pétrifia sur place. Avait-elle le courage de voir cela de ses propres yeux ? Voilà ce qu’une gamine d’une dizaine d’années en était arrivée à penser. Pourtant, lorsque le cri se réitéra, elle sentit au plus profond de son ventre que ce n’était pas sa mère dans la maison, mais bien sa précieuse sœur. Une frontière lâcha alors dans son esprit et, comme une furie, elle entra dans la pièce principale en courant. Kidjyïa était sur le sol devant son père qui avait le bras levé, prêt à l’abattre une nouvelle fois sur le petit corps de l’enfant. Dune s’interposa entre sa sœur et son agresseur en hurlant de colère, essayant de rendre la douleur de Kidjyïa à son père à travers ses petits poings si serrés qu’ils en étaient blancs. Ce fut là, sous toute cette colère, cette rancœur et une certaine incompréhension que quelque chose se mit à bouger dans la pièce pour l’aider. Oui, l’aider. Elle sentait au plus profond d’elle que quelque chose tentait vainement de faire basculer son père… Brusquement, elle prit conscience que l’air s’était mis en mouvement autour d’elle, créant une vague bulle de vent autour de son corps qui frappait son père de tous les côtés, le déstabilisant lui et la protégeant elle.
L’expérience n’alla pas vraiment plus loin car sa mère arriva et s’interposa en hurlant à son mari de ne pas toucher aux petites. Autour de Dune, le vent s’arrêta et elle se retrouva hébétée, bêtement debout, les bras ballants.

Le dernier élément familial qui détruisit un peu plus la gamine, fut la mort de sa mère. Là encore, elle ne fut pas là pour découvrir l’affreux événement et ce fut à sa sœur de remonter le corps vers la maison. Car oui, leur mère, leur douce mère, aimante et fatiguée, était sortie de nuit de la maison. Dune comprit, en voyant le corps couvert d’hématomes et autres coupures, qu’elle avait cédé face à une vie trop dure et qu’elle s’était jetée d’une falaise avoisinante… Aussi simplement que ça, sa vie s’était terminée sur un rocher piquant…
Kidjyïa sembla avoir perdu la parole en revenant ainsi à la maison. Malgré toute la maladresse dont elle était emprunte au côté de sa sœur, Dune essaya de la réconforter et de continuer à la protéger. Pourtant, un ravin aussi large que celui dans lequel leur mère s’était jetée se dressa bientôt entre elles. Dune ne comprenait plus sa sœur. Elle se sentait à la fois inutile et désemparée devant son malheur. Pensant ne pas être la personne adéquate pour la consoler, elle demeura sa gardienne et veilla toujours à ce que leur père ne lève pas la main sur elle.

Alors qu’elles atteignaient l’âge honorable, pour leurs conditions de vie, de seize ans, Kidjyïa prit ses affaires et quitta le domicile familial. Ce fut pour Dune le déchirement de trop. Fonçant à corps perdu dans le seul rêve qu’elle avait réussi à entretenir jusque là, elle continua de s’entrainer pour un jour passer l’épreuve du Labyrinthe de Mo Duinne qui lui permettrait alors de faire partie de la Faction, comme son père et le père de son père avant lui. Les liens, déjà fragiles, qui existaient avec sa sœur semblèrent s’altérer encore plus et presque plus rien n’en restât. Trop déchirée et angoissée par la perspective de perdre définitivement sa sœur, Dune fit ce qu’elle faisait toujours : elle ferma les yeux dessus et pria le Gardien de préserver sa relation sororale.
Finalement, l’année suivante, Dune se présenta à l’entrée du Labyrinthe dans le Canyon d’Orio. Elle connaissait les risques et ce qui l’attendait à l’intérieur. Mais, ayant passé une bonne partie de sa vie dans la forêt, à errer de-ci de-là, et à se frotter à tout ce qui la jugeait comme une proie, elle se devait de le tenter maintenant. Pourquoi pas plus tard ? Dune n’en pouvait plus, son espoir diminuait petit à petit et le départ de sa sœur n’avait fait que l’accélérer. Elle voulait réussir, elle voulait une condition, un métier qui lui occuperait l’esprit et les mains. Prenant en compte qu’elle n’en ressortirait surement pas vu son âge, elle s’avança dans le tunnel.
Traverser le labyrinthe ne fut pas une partie de plaisir et laissa des marques profondément ancrées chez la jeune fille. Elle mit exactement 4 jours et 3heures pour atteindre la fin de cet enfer. Comment atteignit-elle la fin ? Dune ne sut jamais. Elle ne s’était laissé pas le droit de ne pas réussir et à aucun instant elle ne lâcha prise, ne pleura, ne s’arrêta pour d’autres raisons que se nourrir et reposer un peu son corps. Le doute ne lui était pas permis et elle ne flancha pas.
La partie la plus facile fut le niveau extérieur, car la jeune femme avait l’habitude de s’acclimater aux temps environnants et à en faire sa force. Elle avait suffisamment vécue dehors pour s’être endurcie à ce point là. Du coup, les créatures qu’elle y rencontra lui furent toutes, ou presque, familières. Oui, pour ce niveau là, son arc et son épée lui suffirent à avancer rapidement. Il ne lui fallut qu’une journée et demie pour atteindre l’escalier qui menait vers le prochain niveau…
Dès qu’elle quitta l’air frais, la jeune femme se sentit oppressée et inquiète mais refusa de céder à la panique qui se peignant dans son souffle. Ce ne fut pas le fait d’être dans le noir presque total qui causa cette peur, non… Dune prit soudainement conscience qu’il y avait des tonnes et des tonnes de glaces au dessus d’elle et qu’elle s’était faite avalée par son environnement naturel. Elle avait l’impression de sentir tout ce poids sur ses poumons… C’est autant dire si la progression fut moins aisée qu’au premier niveau. Heureusement pour elle, elle avait eu l’idée de ramasser baies et racines à l’air libre, et cela la maintint faussement en forme les deux premiers jours… Jusqu’à ce qu’un événement douloureux lui arrive.
Elle était dans un boyau pas plus haut que ses genoux. Couchée sur le ventre, la jeune femme rampait en puisant dans ses réserves déjà bien endommagées lorsqu’elle sentit un courant d’air frôler son visage. C’était le noir complet et, se fiant à son instinct et à ce courant d’air, elle accéléra le rythme et fonça tête baissée. En effet, quelques mètres devant elle, le boyau se terminait en une caverne ténébreuse. Dune se releva et, croyant avoir trouvé la sortie, se précipita en avant… Ce fut l’erreur. Le bruit de ses pas dut éveiller un animal qui, la prenant pour un danger, attaqua dans un cri bestial. Bien entendu, elle ne resta pas là à rien faire mais dégaina son épée et tenta de frapper à l’aveuglette. Cette idée se révéla plus stupide encore puisque l’animal prit de panique s’envola, ce à quoi elle ne s’attendait pas. Il y eut des cris affolés, puis un bruit sourd contre la glace, et un second, puis le silence. Alors qu’elle comprenait petit à petit que l’anima avait du s’élever si haut qu’il s’était assommé contre le plafond de la caverne et que le second bruit était surement celui de son corps tombant au sol, il y eut un craquement sinistre qui résonna dans la pièce naturelle, puis tout se passa trop vite… Un morceau de glace aussi dur et tranchant qu’une épée céda au dessus de sa tête et tomba en piqué sur elle. Dune, malgré son ouïe très développée, ne put rien faire. Elle sentit un poids sur sa tête et ses épaules et une douleur cuisante le long de son dos… Bientôt ce fut le sang qui vint réchauffer ses mains, détendues le long de son corps, alors qu’elle était étalée de tout son long sur le sol… Elle était salement amochée.
Il lui fallut quelques dizaines de minutes pour se relever et ne pas céder à la panique ni à la douleur. Imprimant l’image de sa sœur devant ses yeux voilés par les ténèbres, elle reprit sa marche droit devant, son épée en main et serrant les dents à chaque pas… Chance ou pas, elle atteignit un dernier escalier quelques heures plus tard. Elle ne sentait plus rien. Plus de dos, de nuque, de jambes. Plus de corps. Se laissant tomber dessus, elle glissa une dernière fois avec l’espoir d’en finir une bonne fois pour toutes. Que ce soit la sortie ou la mort et la douleur anesthésiant ses capacités mentales. Ce fut la sortie ouest qu’elle trouva.
Comme tous les Erfeydiens qui avaient réussi ce test, on la mena jusqu’aux arches ou des centaines de gravures s’étendaient dans la glace éternelle. A l’aide de la pointe en acier d’une flèche, elle y grava son propre prénom et se retourna vers les factionnaires qui attendaient, sans un mot de plus, elle les suivit.

La cicatrice qu’avait ouverte l’éperon glacé dans la caverne ne disparut jamais et Dune est donc marquée à vie par un éclair rougeâtre et disgracieux qui fend son corps tout au long de la colonne vertébrale. Cette marque de faiblesse est une honte pour la blonde qui à présent n’a jamais révélé son corps à qui que ce soit. Plus encore qu’une honte, la cicatrice a sensibilisé les vertèbres de la jeune femme et comme les gens qui ont soigné sa blessure le lui ont appris, cette zone de son corps est un point faible qu’elle ne devrait pas re-blesser sous risque d’y laisser un grand prix…
Ces éléments sont des secrets que la jeune femme n’a jamais révélé à qui que ce soit, même pas à sa sœur. Elle continua à voir cette dernière de temps en temps, se tenant toujours informée des avancées de son commerce et de ses exploits en tant que créatrice de bijoux. Cette réussite attisa une certaine fierté qu’elle ne sut jamais lui partager… Quant à son père, elle se présenta à lui alors qu’elle prenait le poste d’éclaireur auprès d’un clan de la région. Il ne voulut jamais reconnaitre devant elle qu’elle avait tenu son pari, mais il accepta désormais qu’elle vienne le voir de temps en temps… Dune le fit avec cet espoir imbécile d’obtenir ce qu’elle cherchait auprès de lui…
Maintenant que la guerre a commencé et que des peuplades du nord veulent s’approprier leurs terres, Dune a pris plus de sérieux encore à son poste et se prépare à devoir endosser le masque de guerrier en plus de celui d’éclaireur. Elle ne sait pas ce que lui promet l’avenir, mais une chose est sûre, elle n’abandonnera pas son peuple, et encore moi sa sœur.