Histoire

Seul, assis dans le fauteuil de son bureau personnel, il scrutait les champs de son domaine, verre de vin à la main. Pourtant, il n'en buvait pas, se contentant de le faire tourner au gré du verre, et d'un tour de poignet désabusé. Ce vin, en particulier, l'avait toujours répugné. Il se demandait encore comment son père avait fait pour lui affubler une telle médiocrité, ce vin qui était l'un des meilleurs par le passé, avant que son grand-père ne trépasse. C'était de l'incompétence, une incompétence qui le poussait presque à haïr son père.
Il s'était toujours vu comme un Shadow, portant le patronyme d'un autre. Forcé d'en porter le nom. Un nom qui s'était d'ailleurs terni au fil des ans, alors que la marchandise principale familiale avait été reléguée à la modeste piquette vendue en masse pour peu aux auberges médiocres. Etaient-ce les terres qui avaient fini par s'amenuiser de leur richesse ? Très probable. Le père avait refusé la jachère si utile, pour ne pas avoir à en payer les frais : pas de fermiers pour déplacer les récoltes, seuls quelques uns pour l'entretien et la récolte. Une décision de sombre crétin, qu'il n'arrivait toujours pas à avaler. Tout comme ce vin qui ne lui inspirait que la défaite.
Scorpio commença à rédiger un petite lettre, à la plume sur un papier lisse au grain délicat. Il s'appliquait sur sa calligraphie, concentré, quand quelqu'un frappa à la porte. Il y répondit, sans pour autant lever la main, ni perdre son fil.
Un homme entra, grand, balafré, au visage dur. À l'image de celui d'un chasseur qui aurait eu une longue carrière. Scorpio se tourna vers lui, toujours assis dans une position décontractée, au point où il semblait avachi. Le visage du marchand semblait épuisé, contrarié, et il portait surtout l'air d'être ailleurs. Sa tenue, faisait apparaître un débraillement étonnant au vu de son caractère. Sa chemise était ouverte, et son corps était moite de sueur.

« Monsieur, la famille marchande accepte votre requête. Ils affirment que votre cargaison est en route. »

« Très bien Adam. Ramenez leur fille à son foyer, et précisez leur que nous gardons un œil sur eux. Un moindre faux pas et... »

« Comme à l'accoutumée, monsieur. »

« Précisément. Vous pouvez disposer. »

Adam s'inclina, puis sortit de son bureau en silence. Scorpio finit sa lettre, au moment où son domestique sortit. Il n'avait pas cessé d'écrire tout ce temps, comme il n'avait pas perdu une miette de la discussion. Cette nouvelle lui étira les lèvres d'un fin sourire. Il posa le verre de vin sur la table, se leva, et en prit un autre dans une armoire. Il se saisit d'une bouteille de verre blanc, dans lequel on pouvait voir une liqueur d'un rouge chatoyant, plus clair que celui du vin, bien qu'on y perçoive la même consistance. Il s'en servit un verre, le goûta, et y trouva une robe soyeuse, un arôme délicat. Cette bouteille, était parfaite elle. C'était ce sur quoi il avait passé des années. Une liqueur à base de vin, agrémenté du nectar précieux d'un fruit assez peu commun que seul la famille concernée plus tôt commerçait.

« Avec ça... je pourrai enfin donner un peu d'éclat aux Maltese. » se dit-il à voix haute.

Il restait encore pas mal de travail à accomplir. Il avait déjà conclu certains marchés pour le verre, le bois, tout était parfaitement en ordre pour lancer sa propre gamme de produits. La seule chose qui manquerait vraiment pour parachever son œuvre serait un vin de bien meilleure qualité. Rapidement, son flot de pensées vint lui intimer qu'il avait des hectares à disposition, sur la simple condition d'un héritage. Il suffisait que le père finisse par passer de vie à trépas. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Scorpio se massa le front, main tremblante, et finit par retomber dans son fauteuil, avant de fouiner dans l'un des tiroirs de son bureau, pour en sortir une toute petite gomme blanche, qu'il commença à mâchouiller. Il expira, longuement, rapidement détendu. Ses yeux se fermèrent, et tous ses gestes devinrent un peu plus lents.

« Patience. »

Il s'était juré, pourtant, de ne jamais blesser son sang. Mais malgré tout, il avait parfois, au travers de ses accès de colère, des pulsions noires qui lui venaient à l'esprit. Et c'est là qu'intervenait cette dragée blanche. Composée d'une plante dont il ne saurait se souvenir du nom, elle avait des vertus plus qu'apaisantes, relaxantes. Elle arrivaient à produire un effet semblable à celui de l'ébriété, à la différence qu'elle faisait monter la température corporelle si consommée avec un peu d'alcool, sans causer de nausées. Et il en avait si souvent recours, que sa consommation se confondait avec une addiction. Mais sans ça, il n'aurait jamais pu freiner ces fameuses pulsions. Et Vama seule, sait à quelle point elles sont fréquentes...