Histoire
C'était une journée pourtant comme les autres. Le soleil éclatant déclinait lentement à l'horizon et mes parents venaient tout juste de rentrer de leur atelier de tailleurs de pierres, situé plus loin dans le centre d'Errande. Murtan, mon grand frère de 20 ans, était avec eux.
Moi, je venais de fêter mes 15 ans. Plus que quelques mois et mon éducation prendrai fin, marquant le début de mon apprentissage du métier de tailleur auprès de mes parents, comme l'avait fais Lyse, ma grande sœur, plusieurs années auparavant avant de se marier et de quitter Errande et comme le faisait alors Murtan. Un moment que j'attendais avec une impatience et un enthousiasme non-dissimulés.

Ils étaient tous les trois exténués. Je pouvais le comprendre. Le travail de la pierre était rude, et les exigences des familles de marchands qui les embauchaient l'étaient plus encore. Mais ce soir-là, ma mère semblait particulièrement fatiguée. Plus que d'habitude, du moins.
Le dîner avait été bref et silencieux. Il régnait autour de la table une tension palpable, comme si tout le monde savait quelque chose que j'ignorais. C'en était insupportable …

- Bon, qu'est-ce qui s'passe, à la fin ? Avais-je finalement lâché, entre deux bouchées. Décidément, le tact n'avait jamais été mon fort.

- T'es pas croyable, toi ! Avait aussitôt répondu mon frère. On t'paye tout, t'as rien à faire à part suivre tes cours de commerce et d'langues et tu trouves quand même le moyen de t'plaindre ?!

- Murtan, calme toi … Il ne … Commença ma mère d'une voix fatiguée avant d'être interrompu par son fils.

- Non, j'vais pas m'calmer ! Vous voyez pas qu'il s'fout de vous et qu'il respecte rien ? Papa, dis-lui ! Non mais dis-lui !

J'avais vainement essayé de me défendre pendant que mon frère continuait de gueuler et que mon père tentait de nous calmer. Au final, ma mère avait commencé à pleurer et mon père s'était énervé pour de bon. Hors de lui, il s'était levé et nous avait ordonné à tous les deux, Murtan et moi, d'aller dans nos chambres. Ce que nous avons fais sans discuter.
Et les choses en étaient resté là.

Jusqu'au lendemain où, de retour du travail, mon père m'avait pris à part et avait tenté de m'expliquer la situation.
En gros, les marchands qui embauchaient mes parents pour tailler les pierres qu'ils vendaient par la suite avaient décrété que leur atelier n'était pas assez rentable. Par conséquent, ils avaient tout simplement décidé de rompre leur contrat avec mes parents. Je n'étais pas un expert en commerce et en affaires, mais je m'y connaissais suffisamment pour comprendre que cela signifiait l'arrêt de la quasi-totalité de leur activité. Un arrêt qui provoquerait inévitablement une énorme perte d'argent …

- Et Lyse ? Vous pouvez pas lui demander un peu d'aide en attendant d'retrouver des employeurs ? Avais-je alors demandé, abasourdi par la nouvelle que m’apprenais mon père. Mais il avait refusé catégoriquement.

- Lyse a déjà son lot de problèmes. M'avait-il répondu. Nous n'allons pas lui rajouter les nôtres par-dessus.

- Mais il y a quelque chose dont je dois te parler, Lark'. Avait-il continué, sa voix prenant un ton totalement différent. Tu sais, nous ne gagnons presque plus rien … Un apprenti nous coûte déjà une somme non-négligeable, mais Murtan doit absolument finir son apprentissage …

Mon teint déjà blême avait alors encore pâlit lorsque j'avais compris qu'il sous entendait qu'ils ne pourraient s'en permettre un second : moi. Mon cœur avait manqué un battement et mon estomac s'était noué. Ma bouche s'était ouverte mais aucun son n'en était sortit. J'avais eus l'impression que le monde entier s'était effondré autour de moi et je n'avais alors plus ressenti qu'un grand vide.

- Nous … nous allons tout faire pour te trouver un tailleur qui voudra bien te prendre en apprentissage l'an prochain. Mais tu sais, ça ne va pas être évident.

- Et … et sinon ? Avais-je demandé à demi-voix, craignant la réponse. Il y eut alors un long silence. Un long silence pendant lequel mon père eut du mal à cracher le morceau, avant de lâcher finalement :

- La Milice ?

- La Milice ? Avais-je répété d'une voix étranglée. Je ne pouvais pas croire ce que j'entendais. J'étais inoffensif, pacifique et je n'avais jamais cherché les noises avec qui que ce soit … Rejoindre l'armée de Matroos me semblait juste inconcevable.

- Tu ... tu seras nourris, logé, tu pourras faire quelqu … Avait commencé mon père, bien qu'il ne semblait pas plus convaincu que moi. Mais cette fois, ce fut moi qui fondit en larmes et je partis me réfugier dans ma chambre comme un gamin capricieux.

L'année s'était terminé dans une triste ambiance ainsi que dans une misère grandissante et, sans surprise, aucun artisan ne voulut de moi comme apprenti. A la veille de mes 16 ans, mes parents m'ont donc offert un superbe aller simple en direction du QG de la milice, dans le Nrd, et c'est donc assis dans un chariot de marchandises que j'ai fais mes au revoir à famille … A ma mère, qui, bien que ce soit devenu une habitude ces derniers temps, pleurait à chaudes larmes. A mon père, à qui j'en voulais terriblement de m'envoyer là-bas. Et à mon frère, dont j'étais affreusement jaloux de pouvoir continuer et clore son apprentissage …

Le trajet fut long et sans histoire, une occasion parfaite pour moi pour me renfermer sur moi-même et devenir de plus en plus taciturne. A vrai dire, les pierres et les cagots de légumes ne sont pas les meilleurs compagnons de discussion que l'on puisse imaginer …
Mais j'essayais tout de même de m’entraîner chaque jour. Maintenant que je n'avais plus le choix, j'essayais de voir du bon dans mon entrée à la Milice : à présent, c'était mon unique chance de survie !

Je suis donc finalement arrivé au QG. Grâce à l'éducation que j'avais reçu et ma relativement bonne condition physique, j'ai réussis sans trop de mal le test d'entrée et j'ai pu rejoindre le corps d'armée de Matroos.
Comme m'avait promis mon père, je fus logé et nourris – même si nourrir est un bien grand mot pour les rations que l'on nous servait – et l'on m'appris le travail d'équipe, le maniement des armes, la stratégie, … Puis mon service a commencé.

Pendant 3 ans, le travail a consisté à tenir les tours de gardes des côtes, à patrouiller sur les routes ou dans les rues de Vuulte - même si j'ai toujours crains un jour devoir retourner à Errande – et à escorter des convois marchands. En gros, je me la suis coulé douce, mises à part 2 ou 3 escarmouches. 2 ou 3 escarmouches qui m'ont valut la promotion à la spécialisation de tireur d'élite. En effet, il semblerait que je devienne subitement doué lorsqu'il s'agit de se planquer et de tirer de très très loin …

Bref, ces 3 dernières années m'ont un peu redonné confiance en la Milice. Je nourrissais le rêve lointain de parvenir vivant à l'âge de la retraite, pour pouvoir finir mes jours tranquillement en retournant à Errande pour travailler, par exemple.
Jusqu'au jour où le commandement nous annonça qu'ils avaient découvert une nouvelle île. L’Île Blanche, qu'ils l'appelaient. Et elle était habitée par un peuple sauvage et belliqueux, qui n'avait fait qu'une bouchée des premiers hommes qu'ils avaient envoyé. Les soldats parlaient de monstres entre-eux, de magie, … tant de rumeurs qui me firent perdre de vue mon rêve de retraite paisible lorsqu'on m'annonça que l'on venait de m'y affecter.