Histoire
Gaëwyn est née à Errande. Elle est la fille d'un Lieutenant de marine respecté, Ylthien Khaldeïr, et d'une couturière, Lerina Farlow.

Sa mère était une femme dont seule la fragilité égalait sa beauté. Aussi, lorsque cette dernière est tombée enceinte de son second enfant, des complications n'ont pas tardé à se présenter. Avec une grossesse aussi douloureuse et épuisante, l'accouchement ne laissait rien présager de bon. Survenu plus de deux mois trop tôt, celui-ci a emporté la mère et l'enfant à naître après bien des heures de vaines souffrances. Alors âgée de trois ans, Gaëwyn a perdu, dans la même nuit, sa maman et son petit frère.

Fou de chagrin et désemparé, Ylthien a laissé sa fille aux bons soins de sa mère, Edwyna Khaldeïr. Veuve depuis plusieurs années, elle était venue s'installer dans la maison familiale peu après l'annonce de la seconde grossesse de Lerina afin d'aider sa bru, dont la santé fragile n'était un secret pour personne.

Incapable de faire face à sa peine, le Lieutenant de l'Aldebaran a tenté de noyer son chagrin dans le travail. Durant de très longs mois, il a fui le domicile, les sermons de sa mère mais, surtout, le visage de sa fille, dont les traits fins et les grands yeux sombres ne lui auraient que trop rappelé celle qu'il avait perdue.

Si chacun a sa façon de réagir face à la perte d'un être cher, il est cependant commun à tous que le temps aide les blessures à cicatriser. Aussi, après plus d'un an d'absence, Ylthien a repris contact avec sa mère, expliquant comme il le pouvait son geste et demandant régulièrement des nouvelles de sa fille. C'est peu avant son cinquième anniversaire que Gaëwyn a revu son père pour la première fois. Des retrouvailles particulières entre un homme à la fois honteux, triste et ému et une petite fille heureuse mais réservée qui, une fois dans les bras de son père, s'est contentée de lui dire avec un sourire discret et compréhensif : "Il est vraiment parti loin, ton vaisseau... Grand-mère est gentille mais c'est bien aussi quand tu es là."

Resté à quai durant quelques mois pour vivre un peu auprès de Gaëwyn, Ylthien a bientôt dû reprendre ses activités. Son premier départ a été une épreuve, tant pour lui que pour sa fille. Après avoir pris conscience que ce petit bout de femme était tout ce qui lui restait de la sienne, l'homme avait désormais bien du mal à la laisser, surtout lorsqu'il voyait dans ses yeux ce qu'elle se gardait bien de lui dire : la peur et l'appréhension de le voir à nouveau s'en aller trop longtemps et celle, bien plus terrible encore, de ne pas le voir revenir du tout.

Promesse de revenir vite contre celle d'être sage, père et fille se sont dit au revoir de nombreuses fois de cette manière au cours des années qui ont suivi...jusqu'à ce que l'un d'entre eux ne tienne pas sa parole. Gaëwyn venait tout juste d'avoir quinze ans lorsque son père, ainsi que tout l'équipage de l'Aldebaran, ont été portés disparus. Depuis lors, la jeune femme n'a jamais manqué de lui envoyer une lanterne le jour de l'Adieu aux Marins, une célébration dont elle n'aime guère le nom et qu'elle a choisi de vivre à sa manière. Selon elle, si les morts sont bel et bien des disparus, l'inverse n'est pas vrai pour autant.

A partir de cette époque, Gaëwyn s'est retrouvée entièrement seule aux côtés de sa grand-mère. Edwyna Khaldeïr était une femme robuste, au caractère bien trempé et au verbe cinglant mais elle n'en était pas moins une grand-mère attentive qui a donné le meilleur d'elle-même pour aider sa petite-fille à grandir et s'épanouir.

Espérant pour Gaëwyn davantage qu'une modeste condition de domestique, la vieille a usé de temps, d'énergie et de patience - une caractéristique pourtant assez peu développée chez elle - pour enseigner à sa petite-fille tous les bienfaits et secrets de la flore matroscienne. Très vite fascinée, tant par la découverte et l'étude des plantes que par leur utilisation, Gaëwyn, encore toute jeune à l'époque, s'est avérée être une élève appliquée, travailleuse et plutôt douée. Tant et si bien qu'au fil des années, les remèdes qu'elles préparaient ensemble, avaient acquis une petite notoriété en ville, ce qui leur garantissait une rentrée d'argent modeste mais suffisante.

Dans la petite maison familiale, voilà bientôt un an que Gaëwyn travaille seule à la création de ses remèdes naturels. En effet, sa grand-mère s'est éteinte, les bras fatigués et le coeur en paix, confiante et fière de celle qu'elle appelait affectueusement sa "mauvaise graine".

A vingt et un ans, la jeune herboriste est bien connue à Errande. Sa clientèle est régulière et son commerce fonctionne honorablement. Les anciens, qui, compte tenu de leur âge et des maux du temps, font souvent appel à elle, ne se gênent pas pour lui poser des questions, la mettre mal à l'aise et, même, partager entre eux quelques ragots. Il faut dire qu'à son âge, être une femme, vivre seule et ne pas avoir d'enfant n'est pas monnaie courante. Gaëwyn s'en fiche, sa vie et son travail lui plaisent et c'est tout ce qui lui importe.