Hvithet Skygge

"Il était une fois, alors que le Loch des Écailles Noires n'avait pour voisin que la neige et la glace, un éclaireur nommé Svören. Il était le meilleur de tous, silencieux comme un flocon et agile comme un félin. Il voyait plus loin que n'importe qui et entendait tout mieux que tout le monde. Un jour il arriva près du Loch et se dit que sa mission était remplie : il avait trouvé le lieux idéal pour fonder un village ! Il voyait déjà hors de terre sa chaumière, la plus belle et la plus grande qui soit. Mais Svören n'était pas Hänek, alors il fut obligé de laisser ce privilège à un autre. Seulement, Svören était très malin. Afin que sa demeure soit plus grande sans faire ombrage à celle de son chef, il creusa d'abord le sol avant d'en faire les fondations. Il creusa tant et si bien que malgré la froidure de la terre gelée, il réussit à atteindre plus d'un mètre et demi de profondeur ! Et tandis que le village entier le traitait de fou, lui s'affairait à rendre son excavation solide et isolée. Et puis il posa les pierres. Et puis il aménagea le tout. Comme les autres, il fit les chambres en hauteur, mais contrairement aux autres, lui avait plus de place au-dessus de sa tête ! Svören avait été vraiment malin. Ainsi, il pu faire une chambrée plus haute pour lui et sa femme, et à une hauteur différente celle de l'enfant qu'ils allaient avoir, et de ceux qui suivront. Et quand les autres virent son oeuvre, il ne traitèrent plus Svören de fou, ça non. Et depuis ce jour, les Skygge sont connus pour être parmi les plus futés du clan, et même de la faction toute entière !"

Ainsi était la première histoire que Hvithet ait entendu. Celle de Svören Skygge, celui qui avait édifié leur maison, celui dont le sang coulait dans ses veines, et dans celles de son frère, de sa sœur, de son père et du père de son père. car tel était son aïeul. Maintes fois elle avait questionner sur ce conte : était-ce vrai ? Maintes fois on lui assurait que c'était la vérité. Et elle y croyait. La maison en partie creusée dans le sol dur était une preuve. Et la réputation de sa famille une autre. D'ailleurs, tous les contes n'ont-ils pas un fond de vérité ? Après tout, si les Oracles mêmes les racontent, ce ne peut être des mensonges ! L'histoire de sa famille, c'est de la bouche de sa grand-mère, devenue veuve avant la naissance de Hvithet, qu'elle l'entendait toujours. Grand-mère savait raconter les histoires. C'était d'ailleurs une des rares choses qu'elle pouvait encore faire sans aide. Et ça l'est toujours.

Hvithet grandit. Et en grandissant, on se rend bien vite compte que les contes ne sont que cela, des histoires. Oui, l'aïeul avait bien eu une bonne idée avec sa maison à la base enterrée, oui, il était reconnu pour avoir été un bon éclaireur. Et oui, les Skygge étaient souvent bons dans ce qu'ils faisaient, mais simplement parce que chacun d'entre eux y mettait du cœur et que tous travaillaient dur. Rien de plus, rien de moins. Mais il y avait une chose que la gamine futée avait compris : c'était bien les histoires que l'on se transmettait au coin du feu qui alimentaient l'imaginaire collectif et qui donnait corps aux légendes. Quand bien même une histoire sur vous ne raconterait pas la stricte vérité et enjoliverait les choses, le simple fait qu'il y en ait une sur vous était une sorte de consécration.

La consécration. Se faire un nom. Associer son nom à de grandes actions, à des exploits, à des faits d'armes importants. rares sont les erfeydiens qui n'y songent pas, même juste un petit peu. Et quand on vit, quand on grandit, dans un environnement hostile et rude, entouré de gens cherchant à prouver leur valeur, on ne peut que vouloir suivre la même voie qu'eux. Mais Hvithet ne se fit jamais d'illusion : elle n'était pas très grande, pas très forte, et son minois de gentille jeune fille ne l'aiderait jamais à être prise au sérieux. Mais elle avait autre chose pour elle. Quelque chose de précieux et qui, elle n'en doutait pas, la rendrait très utile à son clan (et plus tard, quand celle-ci fut créée, à la faction qui est à présent la sienne). Elle apprenait à se mouvoir en silence, couvrir ses traces tout comme le moindre son qu'elle aurait pu émettre. Au crépuscule de son adolescence, elle savait utiliser son lien de glace pour ne faire qu'un avec cet élément, partout omniprésent. Un bon point pour devenir éclaireur. Ce qu'elle fit.

Suivant les traces de son aïeul, elle se fit remarquer pour son efficacité et son habileté. Elle apprit également à tirer à l'arc et s'avéra être une élève concentrée, consciencieuse et douée. Toujours avide d'amélioration, jamais elle n'a pris les remarques sur ses défauts, manquements et faiblesses autrement que comme des invectives à se dépasser. Puisque son frère était assez fort pour aider les éleveurs de Wymides ou guerroyer, elle se ferait sa propre légende en devenant l'incarnation du Silence et en servant clan et faction du mieux qu'elle pourrait, avec la bénédiction du Gardien.

Le silence est un ami qui ne trahit jamais ...