TORGHANN Rehlj

"Frappe plus fort, c'est pas avec ça que tu risques de me blesser !"

Cette phrase rythmait de nombreuses journées dans l'enfance de Rehlj. Son père, Kahrel, mettait un point d'honneur à mettre son fils en colère pour provoquer des duels dont il sortait tout le temps victorieux. Bien entendu, il était facile de gagner contre un petit jeune de douze ans pour un combattant aguerri comme Kahrel ! Assise dans son fauteuil préféré, Thaliia les regardait faire en soupirant, répétant après coup à son fils de ne pas laisser la colère prendre le dessus, d'apaiser son esprit pour remarquer les failles.
Apaiser son esprit ? Quand les hormones travaillent ? Sans doute une tache aussi insurmontable que d'éviter de s'enfiler un tonneau d'alcool après la victoire comme le faisait si bien Kahrel ! C'était son truc, ça, l'alcool. Rehlj ne se souvenait pas d'un jour sans qu'il finisse ivre, ce qui ne l'empêchait pas d'être incroyablement fort contre n'importe quel adversaire ! Cet homme était fait pour tuer. Il montrait à Rehlj comment se servir de son marteau dans les carrières, faisant des moulinets qui fendaient l'air avant de s'abattre de façon destructrice sur les rochers qui volaient en éclat.
Mais quand venaient de vraies cibles, il remettait le marteau à son fils en riant.

"Allez, si tu crèves ici, c'est que t'es pas prêt pour la suite !"

Et le jeune homme devait gagner. Ce n'était pas le genre de père qui interviendrait pour sauver son fils à la dernière seconde. Ce n'était pas le genre d'éducation qui était privilégiée, chez les Erfeydes. Avec un air déçu sur le visage, il aurait probablement ramené le cadavre de l'enfant auprès de sa femme qui l'aurait pleuré comme les trois autres avant lui.
C'est ainsi que Rehlj reçut la plupart de ses blessures. Il faillit perdre un oeil également et mourir de façon assez ridicule à maintes reprises. Mais il était prêt pour le labyrinthe. L'épreuve ne l'effrayait pas plus que son père. Et puis l'usage de l'ilitium rendrait les choses plus faciles ! Son père n'aimait pas ça, il forçait sa famille à s'en détacher le plus possible.

"Maîtrise d'abord ton marteau avant de maîtriser la flotte bizarre ou tu finiras par crever comme un jeune aurion sous la tempête."

Il fallait dire son son grand père, Rielm, avait rejoint la faction avant lui en se battant avec ce même marteau, sans utiliser la moindre goûte d'ilitium de toute sa vie. C'était un sacré spécimen lui aussi et sûrement la cause du respect lié à la famille Torghann autant qu'à sa marginalité. Il avait bien compris que l'ititium était qu'un outil et qu'un outil était remplaçable. Il avait donc décidé de faire sans. Kahrel en utilisait pour les tâches vraiment nécessaires mais vivait au quotidien en déclarant que l'utilisation de l'ilitium au quotidien était une marque de fainéantise qui causerait la perte des guerriers d’antan. Rehlj était moins extrême, se disant que l'ilitium permettrait d'économiser du temps précieux pour faire autre chose de constructif.
Rehlj avait toujours été très proche de sa mère. Complexe d'Oedipe ou pas, elle était celle qui avait formé son esprit là où son père avait forgé son corps. Elle était celle qui avait conseillé à Rehlj de se marier  et d'avoir plusieurs enfants, robustes si possible !
Mais non, seulement quatre enfants morts nés ou tué dans le premier hiver de leur vie. Deux petits lardons virent ensuite, l'un d'entre eux faillit mourir à la naissance, tombant sur le sol froid à peine sorti du ventre de sa mère. Le deuxième enfant naquit normalement et grandit dans les pas de son frère aîné.
Kahrel avait l'air bien décidé à infliger la même vie à ses petits enfants qu'à son unique survivant de fils. Les deux hommes se sont battus souvent, possédant presque le même niveau. C'est ainsi que Rehlj obtint une de ses plus belles balafres. Il avait failli avoir la hanche gauche en miettes ce jour là. Mais il avait tranché net la jambe de son paternel. Oui, le marteau appartenant à Kahrel, Relhj se battait habituellement à l'épée courte, signe qu'il restait le second mâle de la lignée. mais ça changea ce jour là. Il eut droit au marteau et à la haine éternelle de son père qui but encore plus jusqu'à sombrer dans le sommeil tous les jours.
Et il s'en prit aux deux lardons.  Faibles et incapables qu'il disait ! Saoul comme il l'était, il ne se rendait pas compte qu'il risquait de les broyer en les secouant par le bras de sa sorte. Rehlj rentra chez lui en voyant ses deux enfants pleurer dans les bras de son père. Fou de rage, il le frappa du poing jusqu'à le faire renverser. Une énième bagarre entre les deux hommes éclata et en voyant qu'il n'avait pas l'avantage, Kahrel se servit d'un des enfants comme bouclier.
Thaliia agit alors, son instinct maternel prenant le dessus. La femme de Rehlj, voyant le résultat de la scène, emmena ses enfants dehors pour ne pas créer plus de témoins que nécessaire. La lame transperçait le corps difficilement. Elle y était allée à deux mains pourtant mais la chair était trop ferme pour ses petits bras. Dans son dernier souffle, Karhel sourit en s'effondrant.

"Ah oui... Pas les enfants..."

L'enterrement avait eu lieu en famille. Tous avaient dit que l'alcool avait eu raison de son esprit et ce n'était pas le voisins qui diront le contraire ! Il était facile de penser qu'il était mort dans une futile bataille contre son fils, s'empalant maladroitement sur sa propre lame vu que son héritier portait à présent le marteau. Pas plus de question ne furent posées. Le silence ferait bizarre pour tout le monde mais chacun savait que sa mort était une bonne chose pour les Torghann. Bien que physiquement semblable à son père, il se sentait à présent apaisé. Ne plus être dans son ombre, contraint à suivre son chemin. Pour lui, sa mort annonçait le renouveau de la famille.
Tranquillement, il regardait les jours passer et ses enfants quitter le domaine familiale pour devenir ce qu'ils avaient choisi d'être. Tranquillement, Relhj frappait la pierre et les adversaires qui se mettaient en travers de son chemin.